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des mêmes élémens, devant la grande volière où sont encagées des nuées d’oiseaux-mouches du Sénégal ; autres bestioles dépaysées, transies ; elles frissonnent avec des reflets de pierres précieuses, elles serrent piteusement leurs corps minuscules et se tassent sur leurs perchoirs en longues brochettes superposées ; elles aussi murmurent, dans leur babil nasillard, des choses inintelligibles pour le pierrot de la Seine, qui volète autour de leur grillage, trivial, indiscret, la plume drue et le sifflet hardi, joyeux de sa liberté sous le ciel accoutumé.

Le théâtre annamite n’a pas eu la même fortune que les ballerines du prince de Solo. On a trouvé son action trop monotone, sa musique trop barbare. Pourtant, si ces féeries lyriques se donnaient à Bayreuth… Des amateurs experts et très respectueux de Wagner m’affirment que, si quelque chose ressemble à la manière du maître, — comme le bourgeon à la branche qui en sortira, — c’est le théâtre annamite ; on y discerne le leil-motiv, les longs récitatifs de passion, et l’invention du sujet est puisée dans les Niebelungen orientaux. S’il y a quelque vérité dans cette boutade, j’en suis mauvais juge. D’après ce que j’ai pu deviner en écoutant Lé Hué, — la Rose, — ce drame est fort loin des perfections de Scribe et d’Auber ; mais il a plus d’un point commun avec l’inspiration des chants homériques. Des magiciens qui n’ont pas de patrie terrestre arrivent sur une scène représentant le ciel ou les profondeurs de la terre ; des sorciers, qui furent des buffles dans une existence antérieure, chantent longuement leurs joies ou leurs inquiétudes ; des chœurs plaintifs de suivantes traversent des combats d’hommes et de dieux. Tout cela est d’une fantaisie naïve, d’une liberté de rêve, qui rachètent bien les discordances des gongs. L’imagination du spectateur doit suppléer à l’absence du décor avec de courtes indications, comme dans le théâtre shakspearien. Je relève sur la notice une de ces indications : « Les sinuosités du chemin parcouru par les acteurs correspondent aux accidens qui pourraient surgir dans la vie réelle. « Il y a plusieurs personnes qui donneraient le vaudeville le mieux fait pour les suggestions de cette simple phrase. Mais ces personnes sont encore trop peu nombreuses pour que Lé Hué fasse concurrence à nos entreprises de divertissemens nationaux.

Toutes ces ouvertures sur l’Asie n’offrent qu’un intérêt secondaire, à côté des cérémonies qu’on célèbre depuis quelques jours dans la pagode tonkinoise. Nous devons cette révélation à l’initiative de M. Dumoutier, le savant interprète qui a organisé l’enseignement au Tonkin ; il a bien voulu m’aider de ses lumières et me communiquer les notes manuscrites de l’ouvrage qu’il prépare sur