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l’Académie fut composée de membres élus les uns par les autres et, une fois élus, inamovibles, également égaux par le titre qu’ils portaient aussi bien que par les privilèges qui leur étaient attribués, en un mot, strictement confrères, à la hiérarchie près des fonctions que plusieurs d’entre eux étaient appelés à remplir dans le sein même de la compagnie[1]. Toutefois, même avant les dernières années du règne de Louis XIV, on jugea bon d’adjoindre aux académiciens titulaires des académiciens stagiaires en quelque sorte, qui, sous la dénomination « d’agréés, » et après l’acceptation d’un ouvrage de peinture ou de sculpture présenté par eux et dit « morceau d’agrément, » étaient compris, au moins provisoirement, dans le personnel de la compagnie. Ils n’avaient pas le droit d’assister aux séances qu’elle tenait, mais ils jouissaient, comme les académiciens eux-mêmes, du privilège d’exposer leurs œuvres au Salon[2], en attendant qu’ils confirmassent les preuves déjà faites par la présentation, dans un délai de trois années, d’un seconda morceau, » dit « de réception » : après quoi ils appartenaient définitivement à l’Académie et pouvaient, le cas échéant, être appelés à y remplir les fonctions d’officiers de tel ou tel grade.

L’ancienne Académie royale ouvrait donc libéralement ses portes à tous les artistes notables, quels que fussent le genre de leurs talons, leur nationalité, leur âge, leur sexe même, puisque les femmes n’étaient pas exclues[3]. Elle accueillait ceux qui venaient

  1. Ces « officiers » de l’Académie étaient au nombre de trente-huit : un directeur, un chancelier, quatre recteurs, deux adjoints à recteur, douze professeurs de peinture et de sculpture, six adjoints à professeur, un professeur de géométrie et de perspective, un professeur d’anatomie, huit conseillers, un trésorier et un secrétaire.
  2. Les académiciens, tant titulaires qu’agréés, demeurèrent seuls en possession de ce privilège depuis la première exposition faite sous Louis XIV (1673), dans la cour du Palais-Royal, jusqu’à l’avant-dernière de celles qui eurent lieu au Louvre sous le règne de Louis XVI (1789). L’exposition suivante, celle de 1791, qui précéda de deux ans la suppression définitive de l’Académie royale, fut, par ordre de l’Assemblée nationale, ouverte à tous les artistes français ou étrangers, membres ou non de l’Académie de peinture et de sculpture. Avant cette époque, les peintres qui n’avaient pas reçu encore la consécration académique en étaient réduits à exposer leurs tableaux depuis six heures du matin jusqu’à midi, les jours de la grande et de la petite Fête-Dieu, à la place Dauphine et sur le Pont-Neuf. Les œuvres dont se composait ce salon en plein air étaient accrochées le long des tentures au pied desquelles devant passer la procession du saint-sacrement. Il va sans dire que cette exposition, qui portait le nom d’Exposition de la Jeunesse, était subordonnée à l’état de l’atmosphère au moment où elle devait avoir lieu. En cas de pluie le jour de la Fête-Dieu, elle était reculée de huit jours : s’il pleuvait encore le jour de l’Octave, on la remettait à l’année suivante. Toutefois, eu dehors des « Salons » du Louvre et de l’exposition de la place Dauphine, il y eut à Paris, de 1751 à 1774, sept expositions organisées pour son propre compte et dans un local particulier par l’ancienne maîtrise devenue Académie de Saint-Luc.
  3. Le nombre des femmes qui, depuis Catherine Girardon jusqu’à Mme Vigée-Lebrun, firent partie de l’Académie royale, s’élève à treize, dont cinq furent élues avant la fin du règne de Louis XIV et huit entre les années 1720 et 1783.