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pour leurs avances ou pour leur commission, 100 pour 100 et plus. De même, trop souvent, dans les campagnes et les communes rurales. Les konlaki et les mangeurs du mir n’ont rien à apprendre des usuriers juifs[1]. Pour être du même sang et de la même religion que leurs frères, les paysans, ils n’ont pas plus de scrupule à les dépouiller. En maintes communes, nombre de moujiks, dévorés par les gros intérêts, ne possèdent plus la terre que nominalement ; ils sont devenus les serfs de leurs créanciers. Pour l’ouvrier, comme pour le moujik, le premier effet de l’ouverture de la Grande-Russie aux juifs serait l’abaissement du taux de l’intérêt.

On dit que les juifs démoralisent le peuple. Que répondent les statistiques ? La proportion des délits et des crimes est, d’ordinaire, plus faible dans les gouvernemens de l’ouest que dans ceux de l’est. Bien mieux, les crimes sont plus rares parmi les Israélites que parmi les chrétiens. C’est, objecte-t-on, que les juifs tournent la loi, comme si les lois russes n’avaient pas l’habitude d’être tournées par tout le monde. Puis les lois qu’éludent les juifs, ce sont surtout les lois spéciales, arbitraires, vexatoires, édictées contre eux ; et, dans ce cas, c’est la loi qui fait le délit. Pour la violer, les juifs ont du reste comme complices l’administration et la police. Dans les capitales mêmes, les autorités savent fermer les yeux, ou regarder faire à travers leurs doigts. Ce qui est démoralisant pour l’administration, aussi bien que pour les juifs, c’est toutes ces lois d’exception d’une application souvent malaisée. On comprend qu’il ne soit pas toujours facile de faire d’une ligne géographique factice une muraille de Chine infranchissable. Le plus simple serait d’abolir toute cette législation tracassière, en soumettant les Israélites aux lois ordinaires, sauf à les leur appliquer dans toute leur rigueur.

Reste la grande, la suprême objection. — Nos juifs de Russie, entend-on répéter à Pétersbourg et à Moscou, ne méritent pas d’être traités en nationaux. Ils se considèrent eux-mêmes comme étrangers. Ils n’aiment pas la patrie russe. Ils n’ont d’autre patrie qu’Israël ou kahal. — Mais quand la Russie, répliquent les juifs, s’est-elle montrée pour nous Marne patrie ? et comment aimer un pays qui vous traite en ennemi ?

Une des preuves du peu de patriotisme des juifs, c’est, assure-t-on, leur répugnance pour le service militaire. L’impôt du sang est une obligation dont ils s’ingénient, de toute façon, à s’exempter. Aucun culte, aucune race ne présente autant de réfractaires. En vérité, c’est le contraire qui nous étonnerait. Voilà des hommes privés de la plupart des droits de leurs compatriotes chrétiens, et l’on

  1. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. Ier, liv. VIII, chap. IV.