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pour la moralité, un équivalent d’importance majeure. Ce n’est pas tout. Entre l’individu et la société il y aura toujours une sorte d’action et de réaction mécanique qui tendra à faire coïncider entièrement le sentiment de la beauté intérieure et personnelle avec le sentiment de l’utilité sociale. Dès aujourd’hui on dit de l’homme vicieux ou criminel, en se plaçant au point de vue de la société : « C’est un être inutile, une non-valeur. » Par une évolution certaine, la non-valeur sociale se confondra de plus en plus avec la non-valeur individuelle : l’être difforme, mal doué en fait de facultés propres, ne fera qu’un avec l’être insociable. La conscience de l’insociabilité tendra donc elle-même à se fondre avec Inconscience et la honte de la difformité intérieure. De même qu’il s’établit un équilibre entre la physionomie physique et la physionomie mentale, il s’établira peu à peu une harmonie entre la physionomie mentale et ce que nous proposerions d’appeler la physionomie sociale. Les consciences individuelles finiront par être, pour la plupart, des monnaies frappées à l’effigie non du roi, mais de la société.

M. Spencer, allant plus loin encore, admet que la beauté physique des traits et la beauté mentale tendront à se confondre progressivement. Une croyance instinctive, et qui survit à bien des démentis, c’est qu’il y a un lien plus ou moins lointain entre les traits dominans du physique et du ceux moral. Cette croyance est juste. Selon la remarque de M. Spencer, l’expression est le visage en action ; or l’expression a un sens, la forme qu’elle imprime peu à peu aux traits doit donc en avoir un aussi. Les traits les plus essentiels du visage semblent n’être que des jeux de physionomie habituels et héréditaires qui ont affecté les os de la face. La structure permanente des formes est de la physionomie fixée, de l’action imprimée dans le corps. Considérez la structure osseuse du visage ; en premier lieu, la proéminence de la mâchoire est produite par un usage constant de cet organe, chez des races inintelligentes et dépourvues d’outils ; en second lieu, la saillie des pommettes est l’effet du développement des muscles de la mâchoire. Les autres traits sont de même en relation avec l’état moral. Le type grec, le plus beau de tous, est celui de la race la plus parfaite et la mieux équilibrée ; le type des races inférieures, qui est laid, en est le contre-pied. La beauté du visage, chez un individu, est donc bien l’effet final et le signe ordinaire de la beauté mentale chez ses ancêtres, beauté dont les principaux traits doivent subsister chez leur héritier. On porte ainsi ses titres de noblesse sur son visage, et c’est ce qui légitime, en une certaine mesure, la fierté que la femme attache à sa beauté. Mais il est clair que les exceptions sont nombreuses. Elles tiennent surtout, selon M. Spencer, à ce que la