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conciliation allaient à 2,250.000 de 1871 à 1875 ; de 1881 à 1885 elles sont tombées à 1.835.000.

Ne craignons pas non plus de multiplier les procédures : dans la dernière période quinquennale, sur les 80.000 jugemens, susceptibles d’appel, rendus chaque année par les jupes de paix, les parties n’en ont attaqué que 4,800, soit environ 6 pour 100, que les tribunaux civils ont confirmés dans la proportion de 60 pour 100. Qu’avec l’extension projetée de leur compétence le rapport entre le chiffre des sentences rendues par les sièges de paix et celui des appels dont elles sont l’objet demeure le même ; ou qu’il s’accroisse de moitié, qu’il double peut-être et atteigne 12 pour 100 au lieu de 6, le bienfait de la loi nouvelle n’en sera pas moins immense, puisqu’en neuf cas sur dix elle ménagera la poche des plaideurs. Il n’y a pas à tenir compte de cette supposition absurde, que les huissiers des chefs-lieux de canton seraient incités à vendre leurs études pour devenir agens d’affaires, ou que les nouveaux procès amèneraient dans les bourgades une invasion d’avocats et d’avoués de la sous-préfecture. L’intérêt privé, livré à lui-même, se charge de restreindre leur ministère. L’objection formulée contre l’autorité d’un juge unique n’est pas plus sérieuse : sans prétendre appliquer à la magistrature le mot de George Sand à Flaubert : « Avez-vous remarqué, mon ami, comme on est bête quand on est beaucoup ? » on doit convenir que la responsabilité personnelle est ici le correctif d’un pouvoir non partagé ; que refuser confiance à l’intégrité, à l’impartialité, à la suffisance des lumières d’un juge unique, c’est faire le procès à notre système d’instruction criminelle, confiée sous l’ancien régime à plusieurs juges, tandis que nos lois modernes la réservent à un seul, c’est contester la capacité d’un président en matière de référé, celle des juges ordinaires qui, en fait d’interdiction, de réponses aux requêtes, d’ordonnances pouvant porter atteinte au crédit et à la fortune des citoyens, tranchent seuls, et souvent sans recours, les questions les plus graves.

Certes, nul ne saurait songer à conférer à la troupe fort mêlée, recrutée un peu à tâtons, de nos magistrats cantonaux actuels, la compétence étendue dont je parle ; ce serait s’exposer à de cruels mécomptes. Le juge de paix doit d’abord donner une garantie de capacité professionnelle par le concours, il doit, en même temps recevoir, par l’inamovibilité, une garantie d’indépendance. Mais pour améliorer la race, pour infuser un sang nouveau dans ce personnel, il faut, a-t-on dit, augmenter les traitemens. Les candidats ne font pas défaut, mais ils ne sont pas d’une espèce assez relevée pour être investis d’attributions-aussi importantes que celles qu’on leur destine. Plus des deux tiers de nos juges de paix n’ont que