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l’époque des observations de Bond. La photographie rend ainsi intelligible une structure que les dessins dissimulaient plutôt.

Les succès obtenus sur ce terrain peuvent tenir, dans une certaine mesure, au pouvoir photogénique particulier des nébuleuses ; mais ils s’expliquent surtout par ce lait, que la plaque sensible n’est pas éblouie par le voisinage d’objets plus brillans. La nébuleuse qui entoure l’étoile variable Eta d’Arago était invisible quand cette étoile paraissait de 1re grandeur, et n’a été découverte que lorsque l’étoile qui l’éclipsait fut descendue au quatrième rang (elle est maintenant de 7e grandeur).

On trouve un avantage du même ordre dans l’application de la photographie à l’enregistrement de phénomènes instantanés ou de très courte durée, comme les éclipses, les occultations, les passages au méridien, où le sang-froid de la plaque sensible nous met à l’abri du trouble et des erreurs inséparables d’une observation précipitée. Un grand nombre d’éclipses totales de soleil, ainsi que les deux passages de vénus, de 1874 et de 1882, ont été déjà observés par ce moyen. Les mesures des nombreux clichés rapportés par les expéditions françaises ont été confiées à un personnel féminin sous la direction de M. Bouquet de La Grye ; elles sont terminées, et les calculs sont très avancés.

Nous bornerons là cette rapide revue des services que la photographie a rendus à l’astronomie, ou qu’elle doit lui rendre dans un délai prévu, et qui sont déjà, en quelque sorte, escomptés. Tant de résultats, et de si inespérés, acquis en si peu de temps, n’est-ce pas la plus belle garantie de l’avenir ? En même temps, les lunettes se perfectionnent et atteignent des dimensions colossales. La plus grande, pour le moment, est le réfracteur de 0m,90 d’ouverture qui vient d’être installé au sommet du Mont-Hamilton, en Californie, où se dresse, à 1,300 mètres au-dessus du niveau du Pacifique, un observatoire fondé par James Lick. Cet ancien facteur d’orgues, enrichi par d’heureuses spéculations, et désireux de perpétuer son nom dans la mémoire des hommes, avait, longtemps hésité entre une pyramide, sous laquelle on l’aurait enterré, et un observatoire qui serait érigé au-dessus des nuages. On lui dit que la pyramide, qu’il voulait à l’entrée de la baie de San-Francisco, pourrait, en cas de guerre, être prise pour mire par l’ennemi, et il se décida pour l’observatoire, où il repose maintenant sous la grande lunette. On a dépensé, pour le construire et pour faire une route, plus de 700,000 dollars ; le legs n’y suffisait pas, et l’Etat a dû intervenir. Mais l’atmosphère y est d’une pureté inconnue ailleurs : au moins deux jours de beau temps sur trois.


R. RADAU.