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dire comme il ne s’y glisse aucune intention de flatter les manies des uns ou de déplaire aux autres, — elles deviennent en même temps plus simples et plus claires. Ce qui les embrouille surtout, n’est-ce pas en effet ce qu’elles ont d’actuel ou de contemporain ; et pour les démêler, sinon pour les résoudre, ne suffit-il pas de l’oublier ?

Qu’est-ce donc que le naturalisme ? et, si l’on y mettait un peu de bonne volonté, croirons-nous qu’il fût si difficile de s’entendre sur le sens d’un mot ? Car enfin, personne au monde n’a jamais contesté que l’observation et l’imitation de la nature fussent le principe, non pas l’objet, et le commencement, sinon le terme de l’art. Elles n’en sont pas la fin ni le principe, puisqu’il y a des arts qui ne sont pas d’imitation : on n’a jamais ouï parler d’une cathédrale idéaliste ou d’un oratorio réaliste. Cependant, puisque l’aspect d’une cathédrale gothique ou l’audition d’une symphonie peuvent éveiller en nous des sensations, — et au besoin des idées, — analogues à celles que provoque la lecture d’un poème ou la contemplation d’un tableau, c’est sans doute qu’il y a dans l’art quelque chose d’autre et de plus que l’imitation de la nature. On pourrait, si l’on le voulait, étendre encore et diversifier l’argument. En effet, jusque parmi les arts d’imitation eux-mêmes, il y en a, il y a surtout des genres dont la perfection, ou la seule définition exige de l’artiste qu’il aille au-delà de la nature : ainsi la peinture religieuse, ainsi la poésie lyrique, ainsi peut-être le théâtre. Le plaisir du théâtre est le résultat d’un certain nombre de conventions passées une fois pour toutes entre l’auteur et les spectateurs, et ces conventions, qu’elles consistent d’ailleurs à se mettre un masque pour augmenter le volume de la voix, ou dans la règle des trois unités, sont nées de l’impossibilité d’imiter ou de reproduire exactement la nature… Mais je ne veux pas inutilement compliquer la question, j’essaie plutôt de la réduire à ce qu’elle a d’essentiel, et j’admets, comme je le disais, que l’on n’ait jamais discuté sérieusement sur la question de savoir si l’art doit ou ne doit pas imiter la nature.

J’irai plus loin : si l’on le contestait, ce ne pourrait être que par un jeu d’esprit, puisque nous sommes ainsi faits, selon le mot du poète, que nous ne saurions sortir de la nature par des moyens qui ne soient eux-mêmes encore de la nature. Et n’est-ce pas aussi bien ce que constatent tous les jours, sans le savoir, les moins philosophes d’entre nous, quand ils observent que, si fertile que l’imagination de l’homme puisse être en combinaisons extraordinaires, la réalité et la vie le sont encore davantage ? Jamais peintre naturaliste, impressionniste ou « tachiste » n’a fixé sur sa toile un coucher de soleil ou un effet de neige tel et si surprenant, que nous n’en puissions contempler dans la réalité un plus bizarre ou un plus invraisemblable à l’œil. Mais quel roman-