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peu qu’il ne monte comme criminel d’état sur l’échafaud où périt son père le duelliste, et qu’il ne s’assoie sur la sellette des empoisonneurs à côté de La Brinvilliers et de La Voisin. Tout ce qu’on a faussement reproché à Condé, il le fera : exécutions barbares ordonnées en souriant, sanglantes batailles livrées avec la paix en poche. L’âge, les traverses le modifieront heureusement ; son caractère sortira épuré des épreuves en même temps que son génie grandira. L’humanité, la générosité du glorieux vainqueur de Steinkerque et de Nerwinde effacent le souvenir des légèretés cruelles et des taches qui obscurcissent les premiers triomphes ; le bon grain étouffera l’ivraie.

Voici encore un mariage qui fut le fait de Louis de Bourbon et qui, sans se rattacher à sa vie par les mêmes liens, lui causa plus de soucis, rencontra une opposition plus sérieuse, souleva une agitation plus durable que celui de Châtillon.

La maison de Chabot, souvent honorée de hautes charges, tenait un rang distingué à la cour, aux armées, en province[1]. En ce temps, elle était représentée par trois frères qui avaient peu de bien ; l’aîné, soldat modeste et dévoué, servait depuis plusieurs années en Catalogne, où il fut tué. Le troisième était le chevalier Guy-Aldonce, que le duc d’Anguien considérait déjà comme un de ses meilleurs lieutenans. Entre les deux venait Henri Chabot, « un des hommes de France les mieux faits et les plus agréables. » Moins guerrier que courtisan, s’attachant plutôt à la fortune des princes qu’au métier des armes, il appartenait à la suite de Gaston de France, tout en étant admis dans l’intimité de M. le Duc, qui le prit pour confident de ses amours avec Marthe du Vigean. Chabot fut un intermédiaire discret, délicat, plein de tact et de dignité ; par réciprocité et avec la chaleur qu’il apportait dans ses relations amicales, le duc d’Anguien servit Chabot dans la recherche de Marguerite de Rohan[2], le plus noble et un des plus riches partis de France.

Les huguenots les premiers s’émurent de la prétention de Chabot.

  1. Philippe Chabot, amiral de France, avait été fort avant dans la faveur de François Ier, qui lui fit donner la Jarretière par Henri VIII. — Le duel de Guy Chabot avec La Châteigneraye, terminé par le fameux coup de Jarnac, fut le dernier des combats en champ clos ; — Ce Guy était neveu de l’amiral Philippe. — Son petit-fils, Charles, sieur de Sainte-Aulaye, eut trois fils : 1° Charles, tué devant Lérida en 1646 ; 2° Henri, qui devint duc de Rohan ; 3° Guy-Aldonce, le chevalier, tué devant Dunkerque en 1646. — Henri Chabot, né en 1616, mêlé aux troubles sans y jouer un grand rôle, mourut à trente-neuf ans, laissant à son fils le titre que porte encore l’aîné de sa postérité. L’une de ses filles, « la belle Soubise, » fut aimée de Louis XIV ; une autre, « plus piquante que belle, » Mme de Coëtquen, fut admirée par Turenne.
  2. Née vers 1617, héritière et fille unique de Henri, duc de Rohan.