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pendant deux ans. Quand je fus rétablie, je trouvai un engagement, et tout alla mieux. C’est à Naples que j’ai chanté la dernière fois. Mais je haïssais cette vie. J’aimais mieux chanter chez moi, à la maison. Malheureusement, maman aimait à se tenir dans les coulisses et à compter les adorateurs qui m’envoyaient des bouquets. Elle aimait aussi à lire les journaux qui parlaient de moi, et tout ce bruit la rendait heureuse. Plus tard, elle comprit que je n’étais pas faite pour cette vie, et qu’avec mon caractère altier, je me ferais toujours des ennemis dans le public. Alors, elle songea aux incertitudes terribles de l’avenir, et reconnaissant enfin qu’elle ne devait pas me laisser dans une carrière que je n’aimais pas, elle me conseilla de retourner auprès du plus généreux des hommes, auprès du père le plus tendre.

Elle se tut encore pendant quelques instans. Puis, elle me regarda et me dit : — Maintenant, cousin Erwin, donne-moi tes conseils. Je veux vivre comme tu as vécu.

Elle me dit cela d’un air si enfantin, que je me laissai aller à reprendre mon rôle de protecteur auprès de cette charmante fille. Nous causâmes longtemps, et je lui parlai en homme sérieux.

X.

Trois mois s’étaient écoulés depuis que nous vivions ensemble dans la vieille maison. Mme Latour était un vrai trésor. En peu de temps, elle eut complètement transformé notre habitation. Avec de petits riens dont elle avait fait l’acquisition, elle en avait rendu toutes les parties plus élégantes, plus confortables et plus gaies. Chaque jour, elle sortait avec la vieille Lise, et rapportait des quantités d’objets dont elle trouvait le placement, et qui semblaient nous avoir manqué jusque-là. Souvent, la vieille domestique s’arrêtait, étonnée, devant un nécessaire, un tabouret, un porte-bouquet, un écran, un plateau, un sucrier, et disait : — Tiens ! nous n’avions jamais pensé à cela, monsieur Erwin.

Et Angélina était partout. Avec un petit plumeau multicolore, elle époussetait doucement toutes ces choses délicates, les unes en verre ou en porcelaine, les autres en bois sculpté. Elle examinait ensuite tous les pots de fleurs placés près des fenêtres et sur des étagères, car Mme Latour était grande amie des fleurs, et les taillait et les émondait avec ses petits ciseaux de jardinier. Elle racommodait de sa propre main mes cols et mes manchettes, et rangeait mon armoire à linge. Enfin, je la trouvai, un jour, dans la cuisine, remuant la pâte et agitant la poêle comme une vieille cuisinière de profession.