Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans doute, il est bien bas, lui aussi, ce palais, bien écrasé, pour qu’on n’en puisse rien voir d’où nous sommes. Des cimes de vieux arbres dépassent seules ces murs ; cela semble quelque grand bois sacré un peu funèbre, fermé aux yeux profanes.

Une porte sinistre, peinte en noir et surmontée d’une toiture grimaçante dont les angles ébauchent vaguement des formes de monstres : c’est la porte impériale. Elle nous donne accès dans une grande cour dallée, une espèce de place plutôt, où un silence subit succède à la clameur de la ville, et où plane je ne sais quelle imposante et oppressante tristesse. Il y a là des gardes, vêtus comme nos huissiers ou nos suisses, qui s’empressent effarés, qui courent sans faire de bruit ; il y a des chevaux de selle, tenus en main par des laquais, il y a quelques équipages sombres et corrects, ayant amené des princes ou des ministres. On sent qu’une agitation règne sous ce silence, mais on dirait quelque deuil qui se réunit, quelque mystère qui se prépare plutôt qu’une fête et qu’une fête de fleurs.

Aucun luxe aux abords de l’immense résidence. Le « palais, » — si palais il y a, — qui occupe le fond de cette cour, ressemble à n’importe quelle maison japonaise, ni plus haut, ni moins simple, — plus étendu seulement, couvrant en longueur beaucoup d’espace.

A l’entrée, des laquais en livrée européenne, frac noir et gilet rouge, reçoivent les manteaux des invités et distribuent des numéros japonais sur des petits cartons. Et puis il faut passer individuellement devant une table glaciale, à tapis vert, autour de laquelle sont assis des intendans qui examinent les invitations et les cartes de visite des invités; ils les examinent d’un œil défiant, — sans cesser toutefois d’être courtois, — Et les confrontent avec un grimoire écrit à l’encre de Chine, en colonne sur papier de riz : évidemment, la liste des élus, — qui, du reste, n’est pas longue. Eh bien ! il n’est pas accueillant, ce seuil impérial ; on y sent tout de suite que la demeure, jadis plus fermée que les cloîtres et les sérails, n’a pas encore beaucoup l’habitude de s’ouvrir.

Dans des couloirs étroits et bas, qui viennent après, nous nous trouvons maintenant une quinzaine, errant à la file, avançant avec hésitation : deux ou trois habits brodés d’amiraux chefs de stations navales, et des habits noirs de princes japonais ou de plénipotentiaires européens. Par geste, des officiers du palais nous indiquent la direction à suivre : tout droit devant nous. Et lentement nous marchons comme à la découverte.

Le palais d’un empereur du Japon! Quel rêve d’originale splendeur ce seul mot est capable d’évoquer dans bien des imaginations parisiennes!.. Je suis déjà trop japonisant, moi qui y pénètre aujourd’hui,