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à une impulsion nouvelle : l’opinion publique, il fallut un changement de dynastie, de race, de traditions, l’élément allemand venant prendre k place de l’élément anglais, la mort du petit duc de Gloucester, le dernier des enfans de la reine Anne, laissant vacant un trône que devait occuper George-Louis, électeur de Hanovre.

Dans sa petite cour de Herrenhausen, Versailles allemand brutal et grossier, il vivait content, en dépit de ses mésaventures conjugales avec la belle Sophie de Zell, détenue trente-deux ans dans un château-fort. Entouré de ses hauts dignitaires pauvrement rétribués, de son grand-chambellan payé 6,000 francs par an, de ses médecins salariés à 1,500 francs, n’ayant d’autre luxe que ses vingt carrosses à huit chevaux, il économisait sur le personnel des princesses et sur le blanchissage de sa-cour, auquel deux servantes suffisaient et au-delà. Le trône d’Angleterre le tentait peu ; il se fit prier pour l’accepter, et tarda fort avenir l’occuper. Ses deux vieilles favorites allemandes répugnaient à l’idée de traverser la mer, et il ne comprenait pas l’existence sans Mme Kielmansegge, qu’il appelait familièrement l’Éléphant, à cause de ses opulentes proportions, et sans Mme de Schulenbourg, grande, maigre et sèche, qu’il avait baptisée le Manche à balai. La seconde se refusant à l’accompagner à cause de ses 20,000 francs de dettes que l’électeur jurait par tous les diables qu’il ne pouvait payer, l’Éléphant fit ses paquets, ce qu’apprenant, le Manche à balai fit aussi les siens, en dépit de ses créanciers, et tous trois de débarquer à Greenwich, où l’archevêque de Canterbury, primat d’Angleterre, le duc de Marlborough, le premier homme de guerre de son temps, traître à Guillaume, à Jacques II, à la reine Anne, où les ducs d’Oxford et de Bolingbroke, où la foule des courtisans, des bourgeois et du peuple, attendaient et acclamaient le nouveau souverain et son étrange cortège. Il se souciait d’eux comme eux de lui. Ce qu’ils acclamaient, ce n’était pas George-Louis, qui n’avait cure des vingt-neuf articles de foi du Primat, ni de la fidélité des lords, ni de l’affection d’un peuple qui ne le connaissait pas ; ils acclamaient une révolution pacifique, le maintien du pouvoir entre leurs mains, l’avènement d’une dynastie peu gênante.

Et, de fait, elle ne le fut guère. George-Louis avait grand besoin d’argent, on lui en donna ; de titres, il en disposa ; l’Éléphant devint duchesse de Kendal, le Manche à balai comtesse de Darlington, et le nouveau souverain, retiré dans son palais, put déguster à son aise les huîtres anglaises arrosées de vin du Rhin, fumer pipes sur pipes, et laisser à ceux qui l’avaient appelé le souci et la responsabilité d’affaires auxquelles il n’entendait rien.

Was für plunder! s’écriait un siècle plus tard, avec un vif accent