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à leurs illusions une atteinte décisive. Tandis qu’ils s’attendaient à voir leurs vainqueurs, ainsi que dans toutes les expéditions précédentes, faire, après un certain temps, retraite, un spectacle nouveau vint surprendre et déconcerter leur attente. De Tizi-Ouzou à Souk-el-Arba, sur toute la ligne des bivouacs, des bataillons de travailleurs ouvrirent et achevèrent en dix-huit jours, du 3 au 21 juin, une route de 28 kilomètres de développement et de 6 mètres de large. Le 22, un convoi d’artillerie, de fourgons du génie et du train, couverts de drapeaux et de feuillage, inaugura la nouvelle route en la parcourant dans toute sa longueur.

Ce n’est pas tout. Dès le 4 juin, le maréchal Randon avait écrit au ministre de la guerre : « Pendant les quelques jours qui viennent de s’écouler, le terrain sur lequel doit être élevée une forteresse, assez vaste pour recevoir quatre bataillons avec accessoires, a été étudié, le tracé de l’enceinte déterminé, l’emplacement des divers services reconnu. Des carrières de pierre à bâtir et de pierre à chaux ont été recherchées et ouvertes; les fours sont en voie d’exécution ; en un mot, tout le matériel nécessaire est préparé. » Deux jours après, les travaux de déblai commencèrent; le 14 juin, au sommet du plateau de Souk-el-Arba fut bénite et solennellement posée la première pierre du grand poste fortifié qui allait recevoir le nom de Fort-Napoléon et qui s’appelle aujourd’hui Fort-National; puis, sous la direction du général Chabaud-Latour, l’enceinte bastionnée, les bâtimens de toute sorte, casernes, ateliers, magasins, sortirent de terre et s’élevèrent rapidement devant les yeux stupéfaits des Kabyles. Il n’y avait plus à douter; c’était une prise de possession définitive, un établissement à demeure.

Après avoir démontré par un témoignage irréfragable sa volonté ferme, le maréchal Randon rouvrit le cours interrompu des opérations militaires. Pendant ce délai de quatre semaines, à 5 kilomètres d’Aboudide, en vue de Souk-el-Arba, les derniers défenseurs de la patrie kabyle avaient dressé sur le piton d’Icheriden, vis-à-vis de la forteresse d’occupation, la forteresse d’indépendance. Un ravin profond lui servait de fossé; par-delà, jusqu’au village crénelé et barricadé, des retranchemens en crémaillère avec flancs en retour, des embuscades étagées, dissimulées derrière des amoncellemens de pierres et de troncs d’arbres, découvraient et commandaient le terrain d’approche. Ce fut la division Mac-Mahon qui eut la charge et l’honneur d’attaquer ce qu’il est permis d’appeler l’Alesia de la Kabylie.

Le 24 juin, à cinq heures du matin, sous les yeux du maréchal Randon, elle se mit en mouvement. Un bataillon du 54e était en avant-garde; puis venaient le 2e zouaves et le 2e étranger; la deuxième brigade formait la réserve. A portée de mitraille, l’artillerie