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quand cette sphère d’action est étendue et qu’elle tend à devenir illimitée.

Voyez comment des institutions contraires en apparence, mais assez semblables au fond, conduisent à des résultats analogues. On sait que certaines monarchies de l’Orient ont des ministres qui changent à chaque instant : le désordre administratif et le pillage du trésor en sont la conséquence. Les états modernes ont, eux aussi, un personnel variable, et qui tend chaque jour à le devenir davantage ; il en dérive les mêmes effets : la dissolution administrative et le pillage des ressources publiques. Ce pillage, il est vrai, s’opère d’une autre manière, suivant une méthode plus hypocrite, avec des formes plus douces, en général avec des formes légales. On s’approprie le bien de la communauté par des créations de places superflues, par la mise prématurée à la retraite de fonctionnaires parfaitement valides et capables. De là les 100 millions d’augmentation du chiffre annuel des pensions depuis quinze ans, de là encore l’institution de 200,000 fonctionnaires nouveaux au moins, dans la même période. Ainsi, malgré l’opposition des étiquettes gouvernementales, les intrigues et les caprices des despotes d’Orient, les intrigues et les caprices du corps électoral, produisent des effets de même nature.

Nous n’avons pas épuisé l’énumération de tous les traits particuliers qui caractérisent l’état moderne et qui influent sur tous ses actes. L’un de ces traits les moins connus, et dont les conséquences sont les plus graves, c’est la façon générale dont l’état moderne, l’état électif, conçoit les intérêts de la société, et dont il cherche par conséquent à les satisfaire. Par suite de son origine, qui est l’élection incessante, toujours disputée et à peu près indécise, l’état moderne ne conçoit presque jamais les intérêts sociaux sous leur forme synthétique : il ne les aperçoit que morcelés, dans la situation d’antagonisme les uns avec les autres. Il n’a, pour ainsi dire, jamais en vue que des intérêts particuliers ; l’intérêt absolument collectif lui échappe. Il se figure, comme le vulgaire, que l’intérêt général n’est que la somme des divers intérêts particuliers, ce qui est une proposition d’ordinaire vraie, mais qui ne peut pas être toujours admise sans réserve. S’agit-il d’une des questions les plus débattues de notre temps, celle des relations douanières avec l’étranger ? Chacun des intérêts particuliers engagés dans la protection, ou du moins qui s’y croient engagés (car ces intérêts particuliers se trompent souvent eux-mêmes et sont parfois la dupe d’apparences), frappera beaucoup plus l’état moderne que le stimulant général, le surcroît graduel de vitalité qu’un régime commercial libéral assurerait à l’ensemble du pays. De même pour les travaux publics, de