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« Madrid, 29 mai 1112.

« L’idée que votre Majesté me met devant les yeux de pouvoir me retrouver auprès d’Elle serait bien flatteuse pour moi… Mais il me semble qu’il est bien plus avantageux qu’une branche de notre maison règne en Espagne que de mettre la couronne sur la tête d’un prince de l’amitié duquel Elle ne pourrait s’assurer, et cet avantage me paraît bien plus considérable que de réunir un jour à la France la Savoie, le Piémont et le Montferrat. Je crois donc vous marquer mieux ma tendresse et à mes sujets en me tenant à la résolution que j’ai prise,.. et je suis, en même temps, le parti qui me paraît le plus convenable à ma gloire et au bien de mes sujets, qui ont si fort contribué, par leur attachement et leur zèle, à me maintenir la couronne sur la tête.

« PHILIPPE. »


« Je n’ose réfléchir, monsieur, sur le parti que le roi d’Espagne vient de prendre. Jamais affaire ne m’a paru plus difficile. Cependant, elle n’a point embarrassé Sa Majesté,.. et jamais résolution n’a peut-être coûté moins de peine. Elle n’est pas conforme aux insinuations que j’ai cru apercevoir dans la lettre du roi. Je me figure que Dieu seul ne l’a pas voulu, et j’y trouve d’autant plus d’apparence qu’il n’est pas moins étonnant que la reine, par pure complaisance, contribue aujourd’hui à ôter à M. de Savoie une couronne que la France voulait lui donner. Tout cela ne se peut voir, ce me semble, sans reconnaître un ressort supérieur qui force le cœur des hommes « et qui agit sensiblement en certaines occasions. M. de Bonnac a représenté, en habile homme, toutes les raisons solides qui pouvaient faire quelque impression sur l’esprit du roi. J’ai, de mon été, si je l’ose dire, parlé en mère et en suppliante ; mais tous nos efforts ont été également inutiles contre une résolution que Sa Majesté trouve convenir à la religion, à son honneur, à l’intérêt même de la France, »

Ce langage de mère et de suppliante avait-il été bien sincère et bien éloquent ? Le doute à cet égard est permis. Il n’est pas facile de faire pénétrer dans les esprits honnêtes et droits, comme l’était celui de Philippe, des convictions absolument contraires à celles que l’on a d’abord introduites. S’il était habile à la camarera-mayor de bien jouer son rôle de confidente et de complice en présence du représentant de Louis XIV, elle eût commis, pour ce qui la concernait, une lourde faute en conseillant à Philippe de quitter l’Espagne ; et ce fut, nous en sommes convaincu, avec une satisfaction sans mélange, qu’elle put constater que, dans cette circonstance,