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la soumission des Beni-Chougrane, qui demandent grâce ; mais chez les fiers Hachem, retirés aux limites de la plaine, on ne peut surprendre encore aucun signe de défaillance.

Il y avait deux mois que la division de Mascara vivait de ses propres ressources, quand, le 28 janvier, il lui arriva inopinément de Mostaganem un convoi : c’étaient des médicamens, du café, du sucre, toutes choses que son industrie n’aurait jamais pu lui procurer. Le général Bedeau, qui avait amené ce convoi, était, pour des gens privés de nouvelles, des plus intéressans à entendre. D’abord il avait reçu la soumission des Bordjia, ce qui, avec celle des Beni-Chougrane, assurait pour l’avenir les communications entre Mostaganem et Mascara; mais c’était peu de chose au prix de l’évolution qui s’en allait transformer tout l’ouest de la province; elle était de si grande conséquence, assurait-on, que le gouverneur était arrivé subitement, le 14 janvier, pour la diriger en personne.

On a vu qu’au mois de juillet 1841 le colonel Tempoure, alors à Mostaganem, avait inventé un bey, Moustafa-ben-Othman ; d’Oran, où il était commandant supérieur, le brave colonel, qui avait l’imagination gasconne, venait de faire, au mois de décembre, une découverte encore plus merveilleuse, un sultan! Il y avait, au nord de Tlemcen, sur la rive gauche de l’Isser, une tribu assez importante, les Ghossel, dont l’agha Mouley-Cheikh était en butte à l’inimitié de Bou-Hamedi, le khalifa d’Abd-el-Kader. Inquiet pour son autorité, pour sa vie même, il prit la résolution de jouer le tout pour le tout, et, pour se débarrasser du khalifa, de s’en prendre à l’émir lui-même.

Il n’était bruit, sur les deux rives de la Tafna, plaine et montagne, que d’un jeune marabout d’une grande sainteté, Mohammed-ben-Abdallah, des Ouled-Sidi-Cheikh; simple taleb dans la zaouïa de Sidi-Yakoub, il avait des visions et des révélations qui lui promettaient un grand avenir. Ce fut l’homme que Mouley-Cheikh érigea en rival d’Abd-el-Kader. Au dire du colonel Tempoure, et, ce qui était plus à considérer, du général Moustafa-ben-Ismaïl, non-seulement les Ghossel et les Trara, mais une grande partie des Beni-Amer eux-mêmes s’étaient déclarés en sa faveur. Le 23 décembre, le colonel eut avec lui une entrevue près de l’Isser; le sultan n’avait pas amené beaucoup plus de 200 cavaliers, mais il annonçait qu’il en avait laissé 600 à Seba-Chiourk, afin de protéger ses amis contre les tentatives de l’émir. Au reçu de ces importantes nouvelles, le général Bugeaud était parti d’Alger pour Oran. C’est donc à lui que nous devons nous attacher avant de revenir à La Moricière.