Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se réservait pour des temps meilleurs, qu’on se résignait à mettre les pouces, qu’on préférait le pire des accommodemens à un procès qu’on était certain de perdre.

Nous pardonnons difficilement aux hommes qui se sont joués de nous. Le duc s’est montré sévère pour Frédéric-Guillaume IV; il lui reproche avec quelque amertume son mysticisme, sa volonté ondoyante, sa pusillanimité, ses éternelles tergiversations, les artifices auxquels recourait sa fausse bonhomie pour masquer ses faiblesses et déguiser ses incertitudes. Penserons-nous comme lui que le prédécesseur du roi Guillaume a manqué par sa faute la plus belle des occasions, que s’il avait eu plus de cœur, s’il avait osé braver les colères du prince de Schwartzenberg, les armes combinées de l’Autriche, de la Bavière et de la Saxe, et les foudres de l’empereur Nicolas, qui condamnait son entreprise, une facile victoire lui était assurée? il est permis de croire avec M. de Bismarck lui-même qu’en 1830 la Prusse n’était pas prête, qu’au prix d’une humiliation, Frédéric-Guillaume IV épargna un désastre à son pays. Pour vaincre l’Autriche, il fallait aux Prussiens une armée réorganisée, un grand homme d’état, la neutralité bienveillante de la Russie et une alliance étrangère. Les mystiques voient quelquefois plus clair que les politiques les plus avisés, et il est des cas où les souverains timides méritent par leurs reculades la reconnaissance de leurs sujets.

Espérances et déceptions! c’est ainsi que le duc Ernest a intitulé le dernier chapitre de son premier volume. Le second est sous presse; il y racontera d’autres espérances, d’autres déceptions. Le bon vieillard que Candide rencontra un jour prenant le frais à sa porte, sous un berceau d’orangers, ne possédait que vingt arpens; il les cultivait avec ses fils, et le travail éloignait d’eux trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin. « Ce bon Turc, dit Candide à Pangloss, me paraît s’être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui j’ai eu l’honneur de souper à Venise. » Mais, quand un prince a l’esprit très cultivé, des goûts vifs et des curiosités diverses, la fortune fùt-elle peu complaisante pour sa chimère, il se console. N’ayant pu détacher de l’arbre magique la pomme d’or qu’il convoitait, il cueille les roses de jardin et les églantines des bois qui se trouvent à portée de sa main. Il remplace les grandes aventures par les petites, il trompe son inquiétude par d’aimables distractions, il amuse ses chagrins en leur contant des histoires, ou il les fatigue en les faisant courir, ou il les endort par des chansons. Il chasse le chamois, il compose des opéras, et, quand sa tête a blanchi, il écrit ses Mémoires et corrige lui-même ses épreuves.


G. VALBERT.