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maigres résultats, quand on entendit tout à coup une vive fusillade. C’était une attaque soudaine des khiélas de Ben-Tami sur une cinquantaine de spahis attardés. Remonter en selle et courir à leur aide, le lieutenant-colonel Jusuf en tête, fat pour leurs camarades l’affaire d’un instant. Quand les fourrageurs, qui avaient d’abord tourné bride, se virent soutenus, ils reprirent avec élan l’offensive, et bientôt la mêlée devint générale. On se tirait littéralement de part et d’autre à brûle-pourpoint, car les burnous prenaient feu. L’étendard des réguliers, qu’ils avaient failli perdre dans le combat du 8 octobre, leur fut enlevé décidément par le sous-lieutenant Fieury. Au bout d’une demi-heure, les khiélas étaient en déroute, et Jusuf ramenait au bivouac ses spahis ivres d’orgueil. C’était bien à eux seuls qu’appartenait le triomphe : les chasseurs d’Afrique, mal conduits, étaient arrivés trop tard.

« Mon premier mouvement, a dit le général Bugeaud dans son rapport, avait été de regretter un engagement que je croyais devoir achever d’exténuer ma cavalerie sans compensation ; au mécontentement succéda bientôt l’admiration. Je ramenai au camp ma cavalerie victorieuse et dans l’enthousiasme. Les dépouilles sanglantes des vaincus étaient portées devant elle par un peloton, au milieu duquel se trouvait l’étendard conquis et qu’accompagnaient vingt-deux chevaux de prise. Les trompettes sonnaient des fanfares auxquelles succédaient des chants guerriers. C’était un spectacle enivrant qui frappa au plus haut degré nos nouveaux alliés, accoutumés à redouter la cavalerie rouge d’Ad-el-Kader. »

Beau sujet pour un peintre militaire ; s’il plaisait à quelqu’un de nos artistes de le porter sur la toile, voici, dans les mémoires du général de Martimprey, une autre esquisse qui ne laisse pas d’ajouter au pittoresque : « Le retour des spahis au camp fut triomphal et mérite d’être décrit, parce qu’il donne une idée de cette époque. Ils revinrent musique en tête ; derrière marchaient les prisonniers, la corde au cou ; puis plusieurs rangs de cavaliers menant en main les chevaux de prise tout sellés, les armes suspendues à l’arçon ; enfin un double rang de spahis, le fusil haut, et ayant chacun une tête au bout du canon. Les escadrons, précédés de leurs blessés et de leurs morts portés sur des cacolets et sur des litières, fermaient la marche.

Le 27 octobre, les tribus de la Yakoubia retournèrent à leurs douars avec les grains qu’elles avaient découverts dans les silos creusés par les Hachem ; la colonne expéditionnaire se replia sur Mascara, d’où le général Bugeaud avait fait sortir le lieutenant-colonel Géry pour concourir à ses opérations ; mais la pluie et le froid, qui survinrent inopinément, ne lui permirent pas de les poursuivre. De Mascara, le gouverneur regagna Mostaganem. En traversant la