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guerre, ce qu’il appelle « le penchant peu chrétien qui pousse un pays à attaquer ses voisins. « Il assure que l’empire allemand n’a d’autre pensée que de « consolider la paix en concluant des alliances qui ont pour but de prévenir tout danger de guerre, de mettre l’Allemagne et les puissances alliées en état de repousser en commun des attaques injustes… » Voilà pour la triple alliance, à laquelle tout le monde s’étudie à donner la couleur la plus innocente, un caractère tout défensif ! Ce discours, prononcé pour l’empereur Guillaume, est, si l’on veut, pacifique, provisoirement tranquillisant par ses déclarations sur la politique extérieure ; il l’est un peu moins par la proposition nouvelle d’une augmentation des forces militaires. Il fait marcher ensemble les désirs de la paix et les prévisions de la guerre. Par une curieuse particularité, le discours lu au parlement allemand ne dit pas un mot de la visite de l’empereur Alexandre à Berlin, et l’omission semblerait précisément justifier ceux qui croient que rien n’est changé, que le voyage du tsar laisse la situation telle qu’elle était, le compte toujours ouvert entre les chances de paix et les chances de guerre. Le seul homme qui pourrait aujourd’hui dissiper les doutes et aider à voir plus clair serait M. de Bismarck. Il reste à savoir si le terrible chancelier verra quelque intérêt à revenir un de ces jours de Friedrichsruhe pour prononcer un de ces discours qui déchirent tous les voiles, ou s’il ne trouvera pas plus habile, plus profitable, de prolonger l’indécision, de demeurer une sorte d’arbitre silencieux entre les alliés qu’il s’est assurés et la Russie qu’il s’efforce toujours de regagner.

Au fond, dans tout ce qui se passe aujourd’hui, dans ces entrevues qui se succèdent, dans ces discours, dans ces alliances qui se nouent, il y a une chose singulière : tout le monde veut la paix, tout le monde a ses raisons de désirer la paix ; on ne s’allie ou on ne s’arme que pour se défendre ; on ne se résoudra à la guerre que si on est attaqué ! hier encore, en recevant une délégation de son parlement qui venait s’associer à ses chagrins, l’empereur Guillaume a tenu le même langage : il veut être prêt, — « si quelque attaque,.. » a-t-il dit, sans achever sa phrase. Et comme tout le monde désavoue avec une égale force, avec le même empressement, toute pensée d’agression, on peut rester longtemps ainsi, — jusqu’au jour où l’imprévu, apaisant tout ou aggravant tout subitement, peut décider de la plus étrange, de la plus énigmatique des situations où l’Europe ait jamais été.

Comme l’Allemagne, l’Italie, qui a pris un rôle dans les combinaisons du jour, vient d’avoir, elle aussi, son ouverture de parlement, et son discours royal, expression de ses vœux et de ses ambitions. L’Italie, ce n’est pas difficile à voir, est dans un moment où elle se sent un peu gonflée, un peu étourdie de ses succès, de l’honneur qu’elle a eu d’aller à Friedrichsruhe. Elle se voit admise parmi les premières