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prématurée, pleurée par les travailleurs et suivie de magnifiques funérailles, mit fin inopinément à cette agitation, sans arrêter pourtant le mouvement engagé en vue de libérer l’ouvrier de la loi d’airain du salaire.

En effet, le mouvement ouvrier en Allemagne, d’abord trop lent au gré de ses initiateurs, n’a pas tardé à accélérer sa vitesse et à prendre des proportions énormes. L’association générale des ouvriers allemands subit bien encore quelques crises et eut à lutter contre des dissensions intérieures. Dix années durant, après la mort du maître, ses adhérens se sont divisés pour aller au même but, en suivant deux courans différens. D’une part, le groupe fidèle de la première Association générale, s’en tenant plus strictement au programme propre de Lassalle, et formé surtout par les socialistes des provinces du nord, voulait borner son action directe à l’Allemagne. D’un autre côté, les dissidens recrutés en Saxe et dans les états du sud, qui ont constitué le parti des ouvriers démocrates-socialistes sous l’impulsion de M. Liebknecht, le disciple de Marx, adoptèrent : le principe d’une action internationale. En ordonnant la suppression de l’Allgemeine deutsche Arbeiterverein, le gouvernement prussien a provoqué la fusion des deux camps. A la suite de quelques réunions des chefs, tenues en secret, cette fusion s’est effectuée au congrès de Gotha, en 1875. Comme le programme de Gotha l’atteste, c’est la doctrine du socialisme international de Karl Marx qui a fini par l’emporter, et qui compte aujourd’hui près de 1 million de fidèles, marchant aux élections avec une discipline parfaite et une organisation que les mesures coercitives les plus énergiques ne peuvent plus ébranler. Me réussissant pas à arrêter ce mouvement, le prince de Bismarck cherche à le modérer, en lui opposant le socialisme d’état comme une mesure de salut pour l’avenir de l’empire allemand.


CHARLES GRAD.