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vouloir ménager les conservateurs, se montrer attentif à leurs griefs et apaiser leur opposition : c’était pour l’attitude ! Par le fait, il n’a à peu près rien refusé aux radicaux, qu’il paraissait, qu’il paraît encore désavouer dans ses discours; il a eu pour eux, il faut l’avouer, de dangereuses complaisances, d’étranges faiblesses, en continuant leur guerre de secte dans les écoles, eu tolérant même jusqu’à ces derniers temps, de la part de ses préfets affiliés au radicalisme, une hostilité brouillonne contre le cabinet dont ils étaient les agens. En définitive, il a cru se tirer d’affaire en donnant aux conservateurs des paroles stériles qui ne pouvaient suffire indéfiniment et en faisant aux radicaux des concessions de conduite qu’il se réservait de mesurer. Qu’en est-il résulté? C’est que le ministère de M. Rouvier n’a satisfait personne. Il a découragé les conservateurs, il n’a pas désarmé les radicaux; il a même peut-être quelque peu déconcerté les républicains modérés, qui en sont à se demander ce qu’il veut, et, à l’heure qu’il est, il va se retrouver affaibli devant les chambres, exposé à un assaut que ses adversaires préparent contre lui avec une âpreté dont les signes éclatent de toutes parts.

C’est désormais évident, il faut que quelque chose se décide. — « Il n’en faut pas douter, nous voilà menacés d’une crise nouvelle à la rentrée, » a dit l’autre jour M. Jules Ferry dans un discours qu’il a prononcé à Saint-Dié, et il n’a pas craint d’ajouter, au risque d’exaspérer une fois de plus les radicaux, que, si la crise éclatait, elle risquait de conduire à une dissolution. C’était une menace fondée sur l’état d’anarchie parlementaire qui rend tout impossible aujourd’hui; mais qu’on aille jusqu’à une dissolution qui deviendrait inévitable, ou que tout se borne à une crise ministérielle de plus, la question posée devant le pays ou devant les chambres est la même. Elle se résume en termes simples et saisissans : il s’agit de choisir entre la politique radicale, révolutionnaire, et une politique de sérieuse modération : tout est là !

Si c’est la politique radicale qui l’emporte, plus ou moins déguisée sous l’apparence de ce qu’on appelle la concentration républicaine, ce n’est pas le ministère de M. Rouvier qui la représentera; il aura beau faire, il aura bientôt disparu dans quelque échauffourée. M. de Freycinet est là tout prêt à recueillir l’héritage. M. de Freycinet est l’homme de ces besognes équivoques, le virtuose du parti. Il a refusé le pouvoir, il y a quatre mois, parce qu’il n’a pas pu garder pour collègue M. le général Boulanger; il l’acceptera aujourd’hui sans M. le général Boulanger, pour reprendre cette politique de concessions au radicalisme qui, depuis sept ou huit ans, a fait et l’amnistie de la commune, et les décrets contre les maisons religieuses, et les lois de proscription, et les épurations à outrance, et les dépenses ruineuses pour les finances, — Tout ce qui a conduit le pays à l’état de désorganisation d’où l’on ne sait plus comment sortir. Ce sera la continuation et l’aggravation d’une œuvre si bien commencée,