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D’un côté, les faits acceptés par lui ; de l’autre, ses appréciations. Au lecteur de choisir.


IV

Je trouve, au frontispice du septième volume, un portrait d’Elisabeth, devant lequel il faut s’arrêter un moment. Promenez-vous le dimanche, entre l’heure du lunch et l’heure du thé, dans une petite ville de province anglaise, et, à travers le miroitement des vitres soigneusement lavées, vous apercevrez beaucoup de faces semblables, souriant d’un sourire précieux et vainqueur, droites, immobiles dans la rigidité de leur robe neuve, diamans aux oreilles et chaîne d’or au cou. Celle que nous avons ici sous les yeux est moins une figure qu’un museau. Un menton étroit et un grand front, tous deux fuyans ; un petit œil rond, froid, sournois, jaloux et susceptible, enchâssé dans d’énormes pommettes ; la bouche sèche, impérieuse, dépourvue de charme féminin ; enfin ces traits, à la fois massifs et pointus, qui caractérisent la laideur, ou, si l’on veut, la beauté britannique. Une gorge très basse, qui n’eut jamais d’autre mérite que la blancheur, et dont elle tirait une vanité indécente. Joignez à tout cet ensemble une certaine fraîcheur qui alluma un désir passager chez Philippe II, personnage peu difficile et sujet aux rages d’amour en présence d’objets vulgaires.

Animez cet aimable portrait. Elisabeth monte à cheval, tire le pistolet, boit de la bière, crache et jure comme un troupier. Sa voix est rude, et, quand elle cherche à la moduler, devient ridicule. Elle a le goût des étoffes rêches, des sons aigres, des couleurs criardes. Elle fait broder sur ses robes des yeux et des oreilles, des salamandres, des crocodiles et autres objets qui flattent sa passion du baroque. Elle est brave en présence d’un danger réel, peut-être parce qu’elle n’y croit pas ; mais elle est malade d’une simple menace pendant deux jours, quoique son orgueil dissimule cette émotion sous une effronterie sans égale. Son courage, c’est ce que le peuple, à Paris, appelle « du toupet. » Après son éloge, ce qu’elle aime le plus à entendre, c’est le décri des autres femmes. Quand on revient d’une mission à Paris, la consigne est de tourner en ridicule les dames de la cour de France : alors le laideron couronné ne se tient plus de joie.

Lorsqu’elle parle ou qu’elle écrit, elle s’exprime dans cette langue pédante et maniérée qu’on a appelée l’euphuisme, et que ses contemporains parlent et écrivent comme elle. Des connaissances trop vastes et trop vite acquises barbouillent les cervelles du XVIe siècle ; elles en ressortent, indigérées, en un flot d’apophthegmes, de tropes et d’antithèses. Les enfans trop instruits trouvent naturellement