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le remanie, suivant l’humeur ou le besoin. Lorsqu’il tient sur ses genoux Catherine Howard, qui appartient à une famille catholique, il voit d’assez bon œil le culte des images et la confession auriculaire ; il incline au luthéranisme lorsqu’il songe à épouser Anne de Clèves, qui est luthérienne. Que la ligue de Smalkalde accepte son alliance et son patronage, il est prêt à signer la confession d’Augsbourg. Ainsi, de quelques avantages temporaires, concédés par trois ou quatre principicules allemands, dépend la question de savoir si les Anglais croiront ou non à la présence de Jésus-Christ dans le sacrement de l’autel !

À peine comptait-on quelques protestans clairsemés : des ouvriers flamands réfugiés à Londres, des scholars de Cambridge et d’Oxford qui avaient lu en cachette les écrits de Luther et de Melanchton. L’immense majorité de la nation répugnait aux nouveautés de doctrine. En effet, on devient hérétique, mais on naît schismatique : l’hérésie procède de l’entendement, tandis que le schisme est dans le caractère. Le pape est un prince italien, cela suffit. Lui envoyer de l’argent anglais sous forme d’annates, de premiers fruits, de denier de Saint-Pierre, le laisser pourvoir à certaines charges, obéir à des tribunaux où la justice se rend en son nom, c’était plus que l’Anglais ne pouvait supporter. Pour l’hérésie, il la détestait. Les Lollards, ces socialistes et ces anarchistes du XVe siècle, avaient achevé de l’en dégoûter. Il n’ergotait pas sur les miracles, ne marchandait pas sur le nombre des mystères ; alors, comme aujourd’hui, il était prêt à tout croire. Son rêve eût été d’avoir un dieu à lui, un dieu national, fait à la maison comme le pudding, un dieu anglais, an english God : le mot se trouve en toutes lettres sous la plume de Latimer, un des pères de la réforme. Le schisme est donc endémique dans l’île ; il est une des formes de l’exclusivisme britannique, qui n’a d’égal dans le monde que l’exclusivisme juif. Voilà pourquoi l’Angleterre reste paisible lorsque Henry VIII la sépare du pape, pourquoi elle commence à s’émouvoir quand on brûle des images vénérées, et quand on jette à la voirie les os de Thomas Becket.

Pour réconcilier le pays avec le nouvel ordre de choses, il fallait l’impliquer dans une complicité analogue à celle qui unit le bandit au receleur. La confiscation des biens des couvens vendus à vil prix par la couronne devait amener, comme en 1793, un immense déplacement de la fortune territoriale et la création d’une classe nouvelle de propriétaires, qui se serreraient énergiquement autour du trône pour se défendre en commun contre toute revendication. Mais, pour persuader au parlement de sanctionner cette confiscation, il était nécessaire de constituer aux maisons religieuses et à leurs habitans un dossier d’infamie, en faisant peser sur tous les