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comme boursier. À une certaine époque, ces maisons avaient si mauvaise réputation que, pour les peupler, la police était obligée de recourir à une sorte de presse parmi les enfans du clergé. Les professeurs, mal payés, mal traités par les supérieurs monastiques, étaient aussi misérables et aussi mécontens que leurs élèves. Comment, après cela, s’étonner que les séminaires russes aient longtemps été une pépinière du radicalisme ?

Aujourd’hui même, malgré les réformes accomplies par le comte Tolstoï et par M. Pobédonostsef, l’esprit des séminaires orthodoxes n’est pas toujours beaucoup plus religieux. Le séminariste libre penseur est un type qui n’a pas encore disparu. Sous Alexandre III, les écoles du clergé se sont parfois montrées non moins indisciplinées que les gymnases civils ou les universités. Les révoltes n’y sont pas sans exemple. on a vu, à Moscou, en 1885, le métropolite contraint de recourir aux bons offices de la police pour dompter une rébellion de son séminaire. Comme correction, les mutins furent, dit-on, fustigés jusqu’au sang, manu militari, en présence du métropolite, qui les excitait au repentir, après avoir, selon les mauvaises langues, béni de sa main les verges. Deux ou trois ans plus tôt, toujours sous Alexandre III, les séminaristes de Voronèje, mécontens de leur recteur, s’étaient appropriés, contre lui, les procédés des conspirateurs politiques contre le tsar. Ils avaient tout simplement tenté de faire sauter leur supérieur au moyen de matières explosibles placées dans un calorifère donnant sur son cabinet. Et ce n’était pas, chez ces futurs ecclésiastiques, une invention nouvelle ; deux ans auparavant, en 1879, ils avaient, de la même manière, essayé de se débarrasser de leur inspecteur. Il n’y a que des séminaristes russes pour se permettre de pareils expédiens. Cette année même, parmi les conspirateurs qui, en mars 1887, avaient fabriqué, pour l’empereur Alexandre III, des bombes strychninées, il se rencontrait « un candidat (bachelier) en théologie » de l’académie ecclésiastique. On sait, du reste, qu’il n’est pas de procès politique où ne figurent des fils de popes.

Jusque vers la fin du règne d’Alexandre II, les élèves diplômés des séminaires étaient admis à l’université, au même titre que les élèves des collèges classiques. Cette faculté leur a été brusquement retirée, durant la crise du nihilisme. Est-ce l’appréhension de leurs tendances radicales, est-ce la défiance de leur pauvreté et des mauvais conseils de l’indigence, qui a fait fermer aux séminaristes les portes du haut enseignement ? Était-ce uniquement le désir de restreindre le nombre des étudians et d’arrêter le recrutement des groupes révolutionnaires en diminuant le prolétariat lettré ? Était-ce simplement, comme l’affirmaient les rapports officiels, l’infériorité des séminaires vis-à-vis des gymnases classiques ? Toujours