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demeura toujours en arrière ; leurs modèles furent toujours au dehors. C’est ainsi qu’au XIe siècle, un moine du nom de Théodore introduisit aux Grottes de Kief, d’où ils se répandirent au loin, les statuts du monastère constantinopolitain de Stoudion, avec la pratique de la vie commune. Les milices religieuses de la Russie n’ont jamais offert cette prodigieuse variété de troupes, d’armes, d’uniformes de toute couleur, qui a donné tant d’éclat et de puissance aux armées monastiques de l’Occident. Par suite, les monastères russes n’ont rien connu de comparable aux grandes figures de moines pacifiques ou batailleurs, hommes d’action, hommes de plume, au besoin hommes d’état, qui ont tant remué le monde latin. La Russie a eu des moines; elle n’a pas eu d’ordres religieux. De même que chez nos bénédictins, les monastères russes ont quelquefois été des colonies, partant des dépendances les uns des autres, mais de ce groupement n’est sortie aucune puissante congrégation. La vie monastique a ainsi manqué à la fois de variété et de cohésion, de diversité et d’unité.

Sauf les grandes laures, la population des cloîtres n’est plus aujourd’hui ce qu’elle fut autrefois. Le peuple y afflue en pèlerinage, les moines qui s’y enferment sont relativement en petit nombre ; souvent ils semblent n’être plus que les gardiens de ces forteresses religieuses, jadis habitées par des milliers d’hommes. La décadence graduelle du monachisme est déjà indiquée par la répartition géographique des monastères. La plupart se groupent à l’entour des vieilles capitales ou des vieilles républiques, de Kief, de Moscou, des deux Novgorod, de Pskof, de Tver, de Vladimir. Dans les régions de colonisation récente, dans la terre noire ou les steppes du sud, les couvens sont rares. Les Russes en établissent cependant toujours quelques-uns dans les contrées nouvellement colonisées, ainsi en Crimée, ainsi dans le Caucase, où les moines russes ont repeuplé des cloîtres abandonnés depuis des siècles ; ainsi en Sibérie et en Asie centrale. Dans ces régions écartées, les couvens sont d’ordinaire fondés et dotés par l’état, comme des établissemens d’intérêt public, servant de point d’appui à la colonisation et à la russification.

Il y a aujourd’hui dans l’empire environ 550 couvens, abritant près de 11,000 moines et de 18,000 religieuses, soit moins de 29,000 personnes pour le clergé noir des deux sexes[1]. Un pareil chiffre, pour un tel empire, n’a de quoi alarmer personne, d’autant que, si le nombre des religieuses tend à croître, le nombre

  1. D’après les comptes-rendus du procureur du saint-synode (déc. 1886), la Russie possédait 380 couvens d’hommes, comptant une population de 6,772 moines et de 4,107 novices, soit en tout, 10,879 religieux, — et 171 couvens de femmes, renfermant 4,941 nonnes et 12,966 novices ou sœurs converses, soit en tout 17,907 religieuses.