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de Surrey, ne sont que brigandage. » Il dit ailleurs : « D’après l’Écriture, les princes doivent être pères et nourriciers de leurs sujets ; ils doivent veiller à ce que la vraie religion et la pure doctrine soient partout maintenues et enseignées ; faire en sorte que les sujets soient bien conduits et gouvernés par de bonnes et justes lois, que toutes choses nécessaires leur soient fournies en abondance, et que le peuple et la communauté augmentent ; les défendre contre l’oppression et l’invasion tant au dedans qu’au dehors du royaume ; pourvoir à ce que la justice soit également administrée à tous ; entendre leurs plaintes avec bonté, et leur montrer, même quand ils ont failli, une paternelle pitié ; finalement, corriger ceux qui sont mauvais, de telle façon qu’il soit visible que les princes eussent mieux aimé les sauver que les perdre, n’était le regard de la justice et le maintien de la paix et du bon ordre en la république. » Belles paroles, encore qu’un peu vagues, et qui font écrire à M. Froude que « la justice fut la passion dominante d’Henry ! » Belles paroles, si les actes y répondent ! Sinon, elles se retournent contre l’hypocrite qui les a prononcées.

M. Froude a pris pour point de départ, non sans raison, le jour où tombe Wolsey : c’est, en effet, ce jour-là que le schisme apparaît à Henry comme une solution. En réalité, le drame de la réforme commence lorsque les yeux du roi tombent, pour la première fois, sur une jeune fille qui revient de la cour de France et que la reine a prise au nombre des filles d’honneur. Voilà ce que dit l’histoire, catholique ou protestante ; M. Froude voit les choses différemment. Il avoue que les femmes ont fait du tort à son héros. « Avec les hommes, il a toujours fait et dit ce qu’il convenait de dire ou de faire. » Pour faire plaisir à l’historien, on voudrait, en jugeant Henry VIII, faire abstraction des « histoires de femmes. » Mais le moyen, avec un homme qui a été marié six fois, sans compter les maîtresses ? Le roi, nous dit M. Froude, voit dans les couches désastreuses de Catherine et dans la mort prématurée de ses enfans mâles un châtiment de la Providence, qui le punit d’être entré dans le fit de son frère. Il veut, d’ailleurs, assurer la succession, pour éviter au pays les maux d’une nouvelle guerre civile. C’est pourquoi, fidèle aux principes de dévoûment qu’il a lui-même posés tout à l’heure, il est prêt à se sacrifier à son peuple, en échangeant une femme de quarante-cinq ans, déplaisante et flétrie, contre une jeune fille de vingt, dont il est amoureux.

Feignons d’ignorer qu’Henry a deux sœurs et que toutes deux ont des enfans ; que son neveu, Jacques V d’Ecosse, est prêt à épouser sa fille, la princesse Marie, et à consommer ainsi l’union des deux couronnes ; qu’à défaut de Jacques et de Marie, le sang des Plantagenets coule dans les veines de dix personnes, toutes plus dignes