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désabusés sur les promesses des proclamations, s’écriaient qu’ils étaient prêts « à poursuivre les ennemis comme des bêtes féroces, » ce n’étaient point de vaines menaces. Lorrains, Comtois, Bourguignons, Champenois, Picards saisissaient les fourches, les vieux fusils de chasse échappés aux réquisitions préfectorales comme aux perquisitions des alliés, ramassaient sur les champs de bataille les fusils des morts et couraient sus à l’ennemi, s’il ne se présentait pas en trop grande force ou s’il battait en retraite. À Montereau, à Troyes, dans la dernière heure du combat, les habitans firent pleuvoir des tuiles, des meubles sur la tête des Autrichiens, les fusillèrent à travers les volets et les soupiraux des caves. À Château-Thierry, des ouvriers amenèrent sous les balles prussiennes des barques aux soldats de la garde. En Bourgogne, en Dauphiné, en Nivernais, en Brie, les paysans, organisés en compagnies franches ou accourant au son du tocsin, combattaient à côté des troupes régulières. Entre Montmédy et Sezanne, sur une étendue de plus de 40 lieues à vol d’oiseau, des villages étaient complètement désertés par leurs habitans, qui se réfugiaient dans les bois et s’y défendaient énergiquement.

Le curé de Pers, près Montargis, se fit chef de partisans. À la tête d’une dizaine d’hommes armés de fusils à deux coups, il défendait son village, dressait des embuscades au loin, arrêtait les convois. En sa qualité de commandant, il marchait à cheval, la soutane retroussée, le sabre au côté et le fusil en bandoulière ; mais à la moindre alerte, il mettait pied à terre et, pour encourager ses hommes, il tirait toujours le premier coup de feu. Dans les environs de Piney, la ferme des Gérandots fut appelée le tombeau des Cosaques. On leur faisait bon accueil, on leur servait à boire à discrétion, et quand ils cuvaient leur eau-de-vie, le fermier, ses fils et ses valets de charrue les fusillaient à travers les croisées. — Aucun ne sortit des Gérandots pour raconter ce qui s’y passait. — Près de Bar-sur-Ornain, les paysans massacrèrent un général prussien resté en arrière avec une petite escorte. Un garde-chasse de Sauvage, nommé Louis Aubriot, avise en face de sa maison quatre dragons prussiens, dont deux sont descendus de cheval. Il sort armé, abat de ses deux coups de fusil les deux cavaliers et tombe à coups de crosse sur les deux autres dragons, qui restent à demi assommés. « Les quatre chevaux et trois prisonniers sont près de moi, écrit le général Vattier ; l’autre dragon est mort. » — Un contre quatre ! Horace conquit