Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au fond des caves, et quelques personnes, entre autres les deux filles du duc de Rovigo, quittaient Paris ; — C’était, pour un ministre de la police, une singulière façon de rassurer l’esprit public ! — Personne ne croyait aux récits que faisaient les journaux des avantages remportés sur l’ennemi par les garnisons de la rive gauche du Rhin, ni aux tableaux qu’ils traçaient de la faiblesse de l’année alliée, de l’enthousiasme patriotique des campagnes, des farces innombrables qui se réunissaient à Châlons. En revanche, tout le monde ajoutait foi aux nouvelles répandues par les alarmistes, par les Allemands domiciliés à Paris, que la préfecture de police n’avait pas pensé à expulser, par les journaux étrangers qui pénétraient dans la capitale, malgré les mesures prises ou du moins ordonnées. Que ne disait-on pas ! Murat avait fait défection ; un million d’hommes avaient passé le Rhin ; les alliés combattaient pour les Bourbons ; l’impératrice n’avait pas voulu reconnaître le roi de Rome, et c’était la cause de l’entrée de l’Autriche dans la coalition ; Joseph n’était adjoint au conseil de régence qu’afin de surveiller les autres membres, tous d’intelligence avec Vienne : si l’empereur était victorieux, la garde nationale saurait lui imposer ses volontés. D’autres propos étaient plus sérieux. Aux gens qui prétendaient qu’un congrès était sur le point de se réunir, où le duc de Vicence conclurait la paix, on répondait, et en vérité Ton voyait bien juste : « Aucune des puissances ne veut la paix ; s’il en existait une seule qui y inclinât, lord Castlereagh, qui ne se rend au quartier-général que pour empêcher tout arrangement, croiserait ses vues. » On disait encore, comme si on eût lu dans le livre de l’avenir : « Paris est le point de mire des alliés ; c’est là qu’ils vont diriger tous leurs efforts, par la raison qu’une fois maîtres de Paris, ils le seront de l’empire[1]. »

En vain les journaux multipliaient les appels au patriotisme, en vain les orgues de Barbarie jouaient, par ordre, la Marseillaise, si longtemps proscrite, ni paroles ni musique ne trouvaient d’écho. Les demandes de dispense pour la garde nationale de Paris, demandes apostillées par les plus grands personnages de l’empire, s’amoncelaient dans les mairies. « Les hommes les plus valides se déclarent malades, » écrit le baron Pasquier. Trois compagnies d’artillerie de la garde nationale devaient être composées d’étudians en droit et en médecine. Le général de Lespinasse, chargé de faire rappel, ayant été accueilli par des huées, on dut renoncer à l’organisation de ces compagnies. Les enrôlemens volontaires dans la jeune garde ne s’élevèrent à Paris, en un mois, qu’à 291 hommes.

  1. Rapports de police, 21 et 22 janvier. (Arch. nat., F, 7, 6,603.)