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peu de tête. Il abusait de l’éphod, et demandait aux hasards de l’urim et tummim ce qu’il n’aurait dû demander qu’à sa sagesse. On vit rarement une assiette d’esprit plus superstitieuse. La perpétuelle terreur d’une force inconnue et capricieuse empêchait chez lui tout exercice sain du jugement. Des rapports prolongés avec les écoles de prophètes lui avaient donné une débilité nerveuse, une sorte de tendance à l’épilepsie. Tout cela, joint à un tempérament mélancolique et aux responsabilités d’un rôle nouveau en Israël, perdit le pauvre Saül, Il tomba dans une sorte de folie, que l’on considéra comme l’effet d’un souille malveillant de Dieu. Frappé d’inconscience, il se livrait à des gestes désordonnés, comme ceux des prophètes en leurs accès. On ne réussissait à le ramener à lui que par une musique analogue à celle des nabis. Les sous graves de la harpe surtout le calmaient. En ses momens d’humeur noire, on appelait les harpistes les plus habiles pour remédier au trouble de ses sens.

Dans ce monde passionné de l’ambition orientale, l’homme n’a pas le droit de faire une faute. Il y a toujours à portée quelqu’un de prêt à en profiter. Les intermittences de la raison de Saül eussent été de médiocre conséquence, si le sort n’eût placé à côté de lui un homme qui avait justement toutes les qualités d’habileté dont il était dépourvu. Le mythe étymologique de Jacob, « le supplantateur, » a été une réalité bien des fois dans la vieille histoire d’Israël.


III.

« Et la guerre avec les Philistins fut violente durant tous les jours de Saül, et, chaque fois que Saül voyait un homme brave et fort, il se l’attachait. » Ces mots paraissent avoir été le début du chapitre concernant David dans le livre des Guerres de Iahvé. Ils sont le plus bel éloge de Saül et résument parfaitement son rôle historique. Saül fut l’organisateur d’une chose qui n’avait pas existé jusque-là : l’armée Israélite. Mais, en général, dans l’histoire, l’homme est puni de ce qu’il fait de bien et récompensé de ce qu’il fait de mal. Cet esprit accueillant de Saül devait mettre en évidence l’homme qui allait le miner, lui et sa maison. Le sort de ceux qui ont travaillé à une œuvre est souvent de la voir passer en des mains plus capables de la faire réussir, et ainsi de voir leur création se continuer mieux que par eux, sans eux. L’histoire est tout le contraire de la vertu récompensée. La famille du véritable fondateur de la force d’Israël fut exterminée. Le condottiere sans scrupules qui prit sa place devint le roi « selon le cœur de Dieu, »