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souvient du combat de San-Jacinto ; il sait comment il faut s’y prendre pour recevoir à l’ancre l’assaut d’un ennemi supérieur en force. Ce genre de combat exclut la manœuvre : il a presque toujours, depuis la brillante affaire d’Algésiras, réussi à la marine française.

Les prises se sont encore rapprochées du rivage ; la Sémillante elle-même est embossée sous la protection des batteries de la baie, embossée presque à toucher terre, si près de la plage qu’il sera impossible aux Anglais de renouveler l’audacieux mouvement d’Aboukir, et d’assaillir la frégate française des deux bords à la fois. « Cent bouches à feu, affirme gravement l’historien de la marine anglaise, cent bouches à feu, dont trente-sept canons longs de 24 et sept ou huit mortiers, défendent les approches de Saint-Paul. » S’il a jamais existé semblables batteries sur un point quelconque de l’île Bourbon, il est assurément permis de douter qu’elles aient trouvé dans la faible garnison laissée à la disposition du gouverneur des canonniers en nombre suffisant pour les servir. Les Anglais ont pris l’habitude d’expliquer la plupart de leurs insuccès par l’intervention de ces prétendues défenses. A Bourbon, comme à San-Jacinto, comme aux Sables-d’Olonne[1], l’appareil formidable devant lequel leurs murailles de bois durent, suivant eux, reculer, se serait probablement évanoui aux premières bordées de leurs canons. La majeure partie de nos batteries de côte n’était, en réalité, pas beaucoup plus à craindre que la flotte du commodore Dance ou que les forts de toiles peintes des Chinois. Le Sceptre et le Cornwallis, sans avoir échangé un seul coup de canon, s’arrêtèrent devant des obstacles imaginaires. L’Ile-de-France bloquée suffirait, pensèrent vraisemblablement la capitaine Johnston et le capitaine Bingham, pour retenir la Sémillante, avec son précieux convoi, au mouillage, jusqu’au jour où la saison des ouragans viendrait l’en chasser.

Des navires solides, un bon gréement, permettent aux escadres vouées à la pénible lâche des blocus de soutenir, pendant de longs mois, les assauts multipliés de la tempête : rien ne saurait les soustraire à la nécessité de renouveler leur provision d’eau, — nous dirions aujourd’hui leur provision de charbon, puisque avec du charbon et de bons appareils distillatoires, l’eau ne peut plus manquer. Le Sceptre et le Cornwallis se virent, deux mois environ après leur apparition à l’entrée de la baie Saint-Paul, obligés de lever leur croisière pour aller remplir leurs futailles à l’ile Sainte-Marie de Madagascar. Les deux navires passaient en vue de l’île Bourbon : le capitaine Bingham voulut encore une fois jeter un coup d’œil sur

  1. Voyez, dans l’ouvrage intitulé : Souvenirs d’un amiral, t. Il, p. 127 à 118, le Combat des Sables-d’Olonne ; librairie Hachette et C°.