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enlacemens d’accords, sublimes dans leur nudité austère. On ne savait plus, tant la psalmodie était lente, ce que disaient les voix, ni quel mystère elles célébraient. Cette musique n’évoquait pas les visions précises, mais un peu humaines, que nous donne la peinture ; elle avait un bien autre pouvoir, et l’idée religieuse s’imposait à nous par elle, impersonnelle, abstraite, mais forte de son abstraction même et de son impersonnalité.

Longtemps, presque jusqu’au début de notre siècle, l’Italie, depuis si légère, garda le style sacré, et c’est un bonnet d’enfant de chœur que Rossini jeta si haut qu’on ne le retrouva plus. Mais, de l’œuvre amoncelée par les successeurs de Palestrina dans les archives du Vatican et ailleurs, que s’est-il conservé ? Qu’est devenu, depuis la fermeture de la chapelle papale, le fameux Miserere d’Allegri, que le petit Mozart avait eu une seule audition retenu par cœur ? Que reste-t-il, hélas ! des maîtrises, des scuole de Venise ou de Naples, et des hymnes austères qui s’élevaient sous des cieux enchantés ? On cite bien le psaume de Marcello, l’air de Stradella, et ces deux reliques suffisent à la gloire des deux maîtres. Mais de Porpora, de Durante, de Jomelli, l’on ne se nourrit plus guère ; quant à Galuppi, Carissimi, Frescobaldi, Abbattini et autres, leurs noms ne servent qu’à donner une apparence érudite aux nomenclatures des historiens. Si par hasard un de ces beaux airs à demi oubliés se glisse à notre oreille, laissons-nous reprendre une heure par le prestige mélancolique des choses passées ; mais contentons-nous d’une première larme et ne tournons pas le feuillet jauni. Les échos depuis longtemps abandonnés sont maussades et trop souvent ne répondent plus.

Les plus vieux cependant restent parfois les plus fidèles, et Bach, plus jeune d’un siècle et demi, nous touche moins que Palestrina. Peut-être nous étonne-t-il davantage. La Passion selon saint Matthieu a été mise tout entière par le prodigieux organiste de Leipzig en fugues, récitatifs, airs, chœurs, doubles chœurs, avec accompagnement d’orchestre et d’orgue. Une voix seule déclame le texte. Elle chante, par exemple : « Lorsque Jésus eut achevé ce discours, il dit à ses disciples : Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours. » — Ici, courte prière en forme de petit choral. — Reprise du récit : « Alors les princes des prêtres se réunirent et dirent : Que ce ne soit point durant la fête » (chœur). Après un certain nombre de ces récits et de ces chœurs, interviennent, pour prier Jésus ou pour le plaindre, les fidèles eux-mêmes, auditoire supposé de l’évangéliste. Une œuvre de cette nature est déjà un peu plus dramatique que des œuvres purement liturgiques : antiennes, psaumes ou motets ; mais elle garde encore à demi le caractère de l’office et de