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excellé, ne s’en soit point avisée. Mais, si elle a un peu trop considéré la révolution en elle-même, et comme isolée de ce qui la précède, l’amène et l’explique, elle l’a très bien vue, très nettement, dans un jour très clair, sans système ni passion, et, ce qui est si rare à toute époque, en 1816 surtout, tranquillement. Elle n’abaisse ni ne surfait. Au temps où elle écrit, il est bien certain que ce sont les quelques conquêtes vraies et solides de la révolution qu’elle veut sauver. Elle est libérale, dans le sens que le mot avait alors. Mais cela ne lui ferme point les yeux. Elle voit et montre très bien la bonne volonté et l’ignorance redoutable des hommes de 1789, leur présomption singulière, leur insouciance ou leur mépris à l’endroit des constitutions des peuples libres, Angleterre et Amérique, qui auraient pu les guider. Ces hommes étaient très grands de cœur et très vides d’esprit, très généreux et très peu munis de connaissances, comme le siècle dont ils sortaient. Leur malheur a été de ne pas savoir l’histoire. On ne l’avait pas inventée avant eux. On l’a faite depuis ; mais dès lors ce ne pouvait être qu’un palliatif. Un seul homme savait parmi eux, et avait une intelligence supérieure, et ils ont eu le malheur de le perdre ; et c’est encore l’honneur de Mme de Staël d’avoir très bien compris Mirabeau, que, comme fille de M. Necker, elle n’aimait pas. — Elle met dans tout son jour, à côté des généreuses aspirations des constituans, leur profonde incapacité administrative et le désordre où leur dictature jeta la France en 1790, désordre qui est la cause même de la tyrannie du salut public, parce qu’il l’a rendue nécessaire. Elle touche du doigt, en sa source même, la présomption qui a conduit la constituante à confondre en elle tous les pouvoirs, au risque de les exercer tous pour la ruine publique. Défiance à l’égard du pouvoir royal, sans doute ; mais surtout dédain des autres, et amour-propre interdisant à des Français d’imiter la constitution d’un autre peuple : « Une manie de vanité presque littéraire inspirait aux Français le besoin d’innover à cet égard. Ils craignaient, comme un auteur, d’emprunter les caractères où les situations d’un ouvrage déjà existant. Or, en fait de fictions, on a raison d’être original ; mais quand il s’agit d’institutions réelles… » De là ce caractère abstrait de toutes les imaginations des constituans. Ils inventent. Ils créent dans le vide de leur ignorance, et dans le vertige, doux encore et innocent, de leurs rêves. Ils se paient de mots, comme une foule, et de mots qu’ils trouvent, comme des auteurs. « Tel était le mot du jour ; car en France, à chaque révolution, on rédige une phrase nouvelle qui sert à tout le monde, pour que chacun ait de l’esprit et du sentiment tout faits ; .. » car « la plupart des hommes médiocres sont au service de l’événement et n’ont pas la force de penser plus haut qu’un fait. »