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sentimental. Le fond de leur art était élégie et lyrisme, et lyrisme moderne, qui n’a absolument rien de commun avec le lyrisme antique, qui est épanchement personnel, et dont Shakspeare (ils le savaient bien) était réellement le seul à avoir donné l’exemple. — Et, de plus, ils étaient philosophes. Ils mêlaient toujours une théorie métaphysique à leur rêverie littéraire. Ce n’est point à dire qu’ils ne fussent point spontanés et naturels ; c’était leur manière de l’être. La philosophie est si bien chez elle en Allemagne qu’elle se confond d’elle-même avec les émotions des poètes. C’est une de ces pensées si familières qu’elles en deviennent un sentiment. Les Allemands l’ont dans le cœur autant que dans la tête. La rêverie personnelle aboutit à une méditation sur la destinée humaine, et cette méditation prolonge, soutient et enrichit la confession que le poète fait de son âme. Ces poètes rattachaient leurs contemplations à une théorie ; ils écoutaient comme un maître l’ami de Mme de Staël, Schlegel, et rêvaient en lisant religieusement l’Atheneum. — Solitaires, ils l’étaient, relativement au public, auquel ils songeaient peu, ne subissant point ces lois de l’esprit de société, si puissantes en France ; détournés d’un isolement trop profond, qui aurait été funeste à la santé de leur esprit, ils l’étaient par ce lien commun, la recherche philosophique, la discussion et l’examen passionné des grands problèmes universels. Par tous ces caractères, ils ravirent Mme de Staël. Il y avait là du naturel, de l’effusion, du sentiment, du rêve, de la naïveté, des idées, de l’originalité, point d’imitation, de la déclamation aussi, tout ce qu’elle aimait.

Il y avait surtout du nouveau, ce qui est pour plaire à tout le monde, et surtout aux femmes. Elle vit là tout un renouvellement de la littérature, et, du reste, elle avait raison. Elle avait, nous l’avons vu, confusément senti que l’art classique français avait produit tous ses fruits, que la littérature française ne se soutenait plus que par une ressource un peu étrangère, les ouvrages de philosophie politique, que, du reste, elle languissait ; elle trouvait en Allemagne un art nouveau, imprévu, brillant d’ailleurs : elle applaudissait. Ses idées, même sur la littérature française, en furent changées. D’abord elle aperçoit désormais, mieux qu’elle ne faisait auparavant, le vide étrange et la puérilité où en est arrivée la poésie française de son temps. Elle voit que ces versificateurs du XVIIIe siècle finissant ont comme peur de penser et de sentir, que leur souci de l’exécution spirituelle et leur culte de la difficulté vaincue viennent, à la vérité, de leur impuissance, mais d’une singulière pudeur aussi, de la crainte de laisser voir le fond de leur âme. C’est très distingué, sans doute, et Dieu sait combien l’excès contraire est de mauvais ton ; mais nous savons combien cet excès-là est ennuyeux. Elle corrige beaucoup des jugemens littéraires de son livre de 1800. Avec