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toutes les rédactions captieuses qu’il avait arrachées à l’inexpérience du maréchal et y substituait des phrases précises, ne laissant aucune prise à l’équivoque ; tout avait été remanié ou plutôt refait, depuis le préambule jusqu’à la fin, dans le style solennel et avec le luxe exubérant de précautions qui était de mise alors, et dont, les études de notaires ont fidèlement conservé la tradition. Les traités d’Utrecht étaient complètement mis à l’abri d’une abrogation dissimulée, les acquisitions de l’Autriche en Italie étaient nettement limitées aux territoires qu’elle occupait actuellement, et enfin, par un expédient assez heureusement trouvé, la question brûlante des Catalans, ainsi que celles de Porto-Longone et de l’amnistie des émigrés espagnols, étaient renvoyées au futur traité à conclure entre l’empereur et Philippe V. Enfin le roi maintenait, mais pour la forme seulement évidemment, la demande du bailliage de Germersheim, celles en faveur de la princesse des Ursins et de Rakoczy.

Malgré ces modifications, l’entente eût été facile si le prince Eugène y avait mis la moindre bonne volonté, car la plus grave cause de conflit venait de disparaître : l’empereur lui-même s’était rendu, il avait renoncé à la clause relative aux Catalans. Il avait été informé que les insurgés de Barcelone ne tenaient pas à ces privilèges, pour la conservation desquels il s’apprêtait à reprendre les armes ; c’était l’indépendance absolue qu’ils voulaient, la séparation d’avec l’Espagne, et Charles VI ne pouvait décemment l’exiger du roi de France. L’empereur avait donc écrit de sa main à Eugène, le 25 janvier, que si sa rédaction primitive ne pouvait être insérée dans le traité, il préférait passer entièrement la question sous silence et se réserver de prendre dans l’avenir toutes les mesures qui lui seraient dictées par ses devoirs envers ses sujets fidèles. La plus grave difficulté était donc écartée ; celles qui restaient ne méritaient vraiment pas de risquer une nouvelle guerre, et le prince Eugène aurait pu et dû prendre sur lui de les résoudre. Mais au contraire, soit qu’il ait cru voir dans l’expédition du modèle de traité la preuve que le roi ne voulait pas la paix, soit que la nouvelle d’une aggravation dans l’état de la reine d’Angleterre fait ramené lui-même à des idées belliqueuses, loin de chercher à aplanir les derniers obstacles, il parut s’étudier à les aggraver. Sans accepter la discussion sur le nouveau projet, il se répandit en reproches très vifs contre ce qu’il appelait les « scandaleux procédés » du gouvernement français et déclara qu’il partait. Villars, emporté par son dépit, au lieu de soutenir sa cour, la découvrit de nouveau ; il déborda lui-même en récriminations passionnées contre ses ennemis, ses détracteurs, contre les