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religion, elle entre en contact immédiat et profond avec la nation entière aussitôt qu’il s’agit de charité. Elle accueille sans parti-pris, avec libéralisme et libéralité, toute infortune qui tend la main vers elle ; les municipalités le savent, et les congrégations, et les œuvres laïques, et les individus qui, de la mendicité, se sont fait un métier lucratif. Les noms de l’opulence israélite sont connus, je les retrouve en toute liste de souscription, toujours prêts à s’offrir pour une bonne action. Les aumônes prennent parfois ampleur de largesses ; Mme James de Rothschild donne 600,000 francs à l’assistance publique pour aider les ouvriers pauvres à payer leurs loyers, et Antoine Kœnigswarter lègue un million à l’œuvre des jeunes détenus que dirige M. Bonjean. Chacun, parmi les riches d’Israël, s’empresse de « faire sa justice, » et « la dime » est souvent dépassée. Booz ne laisse pas seulement glaner Ruth la Moabite, il verse lui-même six mesures d’orge dans son tablier ; la tradition des ancêtres ne s’est point altérée. On a dit que la bienfaisance des juifs était pour eux une sorte de nécessité sociale, et que leurs offrandes, si magnifiques qu’elles fussent, représentaient une prime d’assurance destinée à sauvegarder leur fortune. Je n’en crois rien, et je connais de bien gros coffres-forts qui ne se sauvegardent guère par de tels moyens. Il me semble que le motif qui les émeut est tout historique. Pourquoi ne pas appliquer à la race issue de Jacob le vers de Virgile :


Non ignara mali, miseris succurrere disco ?


Nul peuple n’a été plus cruellement traité que celui qui se proclame le peuple de Dieu. Pendant dix-huit siècles, l’humanité s’est acharnée contre lui ; il a connu toutes les avanies, toutes les humiliations, toutes les tortures ; il est resté imperturbable dans sa foi, dans ses coutumes, et a donné un exemple extraordinaire de l’énergie de ses convictions. Aujourd’hui, quoiqu’il soit entré de plain-pied dans le droit de cité, il n’est pas encore à l’abri de certains préjugés que le temps seul fera disparaître ; mais du moins, en nos pays aryens, il peut vivre de la vie commune et soutenir comme d’autres, mieux que d’autres souvent, la lutte pour l’existence. S’il est généreux, si la bienfaisance est sa vertu maîtresse, c’est qu’il n’a point oublié le temps des persécutions, et s’il a pitié de ceux qui souffrent, c’est qu’il se souvient de ce qu’il a souffert.


MAXIME DE CAMP.