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de premier ordre et bien moins susceptible d’entraînement que l’homme ; elle ne joue point à la Bourse, reste indifférente à la séduction des chanteuses de café-concert et ne passe jamais les nuits au cercle. Cela seul lui crée une supériorité dont on se trouve bien dans les maisons que l’élément masculin n’a pas encore complètement envahies.

Par une disposition obligatoire des fondateurs, douze places, dans l’école Bischoffsheim, sont réservées à des juives orientales. C’est l’Alliance israélite, dont la plus constante préoccupation est l’œuvre des écoles en Orient, qui se charge de désigner les élèves aptes à recevoir l’instruction française. On les amène de leurs pays lointains ; elles ont quitté le quartier de la ville qui est réservé à leurs coreligionnaires, elles ont traversé la Méditerranée, elles ont mis le pied sur la terre de l’égalité par excellence, et elles ont été conduites à Paris, où la maison les a maternellement accueillies. De presque toutes on fait des institutrices, et l’on n’a qu’à s’en louer. Elles retourneront aux contrées du soleil, où le muezzin chante dans la galerie des minarets, où les chiens errans vaguent à travers les rues, où les sentinelles accroupies tricotent devant la porte du corps de garde ; elles rentreront au milieu d’une civilisation si ancienne et demeurée si stationnaire qu’elle est devenue la barbarie ; elles y importeront la civilisation moderne, la civilisation française ; elles la professeront, pour ainsi dire, dans les écoles qu’elles auront à diriger, et ce sera au grand bénéfice de notre influence. Cette œuvre, qui est une œuvre de moralisation et de propagande, où notre renom ne peut que grandir en Orient, est excellente, féconde et mérite d’être encouragée. Si le gouvernement accordait le passage gratuit aux filles d’Israël qui viennent s’imprégner de nos idées pour les répandre autour de leurs berceaux, il agirait sagement. Ce n’est pas seulement aux femmes de leur race que leur enseignement profitera, c’est à la femme d’Orient, dont la condition déprimée, presque animale, a frappé tous les voyageurs. Elles relèveront le niveau moral, le niveau social de « la plus belle moitié du genre humain. » Elles lui apprendront que la femme, sans porter ombrage à l’homme, peut être intelligente, instruite et bonne ; qu’elle a un rôle enviable à remplir ; que c’est à elle qu’il appartient de modeler l’âme des enfans ; que dans l’existence elle doit être une associée et non pas une serve, que c’est d’elle que dépendent les bonheurs intérieurs, et que tout l’Orient, à quelque communion qu’il se rattache, s’est trompé, a été coupable en la réduisant à n’être qu’une bête de somme et de plaisir[1].

  1. les villes d’Orient possédant des écoles Israélites dirigées par d’anciennes élèves de l’école Bischoffsheim sont Andrinople, Constantinople, Choumia, Philoppcopoli, Damas, Tatar-Bazardjlck, Tanger, Tétouan, Tunis, Salonique, Bayrouth. Sur cette liste je regrette de ne pas voir figurer Jérusalem, Hébron, Saphet, Tabarieh, où il y aurait tant à faire, si rien n’y a été changé depuis trente ans.