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qu’auprès des malades rien ne peut valoir la ponctualité, le désintéressement, les soins attentifs des femmes appartenant aux congrégations ou aux communautés religieuses. Elle fit appel aux marianistes de la Sainte-Croix, qui ont leur couvent au Mans, et sept sœurs vinrent partager les travaux de l’hôpital ; il était temps : on succombait à la fatigue et les troupes allemandes se rapprochaient. Les sœurs marianistes n’ignoraient point les croyances de Mme Coralie Cahen, mais il parait que les bons cœurs savent se comprendre, car elles acceptèrent sans hésitation son autorité et, au bout de peu de jours, l’ayant vue à l’œuvre, elles ne l’appelaient que « la mère. »

Lorsque tout fut fini, lorsque la France épuisée retomba sur elle-même, après avoir échappé au parricide dont des enfans impies l’avaient menacée, elle regarda du côté de l’Allemagne où, comme j’ai dit, quelques-uns de nos soldats étaient encore retenus. Pendant de longs mois, Mme Coralie Cahen avait vécu au milieu des misères de la gloire, parmi les blessés des deux armées, apaisant la douleur des Français vaincus, consolant les Allemands vainqueurs, qui pleuraient en pensant à leur patrie, les confondant les uns et les autres dans la même pitié, car ils étaient réunis dans la communauté des mêmes souffrances ; elle avait senti son cœur s’émouvoir à la pensée de nos soldats que les forteresses de Silésie et de Poméranie refusaient de nous rendre, parce qu’ils avaient commis des fautes que la France eût peut-être récompensées, mais que l’Allemagne avait dû punir. Cette idée l’obsédait ; elle n’y tint plus et partit.

Seule, sans autre mandat que celui qu’elle s’était donné, volontaire de la délivrance et de la charité, elle fit trois voyages en Allemagne, dont deux pendant l’hiver de 1871-1872, qui fut exceptionnellement rigoureux, surtout aux environs de la Vistule, vers Dantzig et Graudenz. Elle frappa à toutes les portes, cherchant, s’enquérant, demandant partout « : Avez-vous des prisonniers français ? » sollicitant, ne se décourageant pas, et abusant de sa faiblesse jusqu’à en faire une force qui devint invincible. Dans cette œuvre de patriotisme et de commisération, elle fut puissamment aidée par une femme d’un grand cœur qui la couvrit de sa protection, et qui n’est autre que l’impératrice Augusta. En souvenir de cette pérégrination à travers les casemates où nos soldats étaient détenus, en témoignage d’une alliance de charité conclue pour atténuer les maux de la guerre, la souveraine remit à la voyageuse une broche n’ayant pour ornement que la croix rouge, la croix de Genève, qui est la sauvegarde des blessés, des ambulances, des hôpitaux et le symbole de l’humanité. Le hasard m’a mis en rapport avec l’officier qui fut chargé, dans la forteresse de Graudenz, d’amener les prisonniers français en présence de Mme Coralie Cahen. Je ne sais rien de plus