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écrivait-il, dans le désir de me faire connaître par mes actes ; je vais combattre mes ennemis, qui sont les vôtres et tenter ma destinée, qui, après Dieu, est entre les mains de Votre Majesté. »

A son arrivée en Écosse, quand les seigneurs et les chefs des principaux dans qui l’avaient appelé surent qu’il était venu seul, sans aucun des appuis qui leur avaient été promis, aucun d’eux ne voulait plus se compromettre dans une entreprise qui paraissait désespérée, et ils le pressaient de se rembarquer avant que l’alarme fût donnée à la police anglaise. Vainement essayait-il de les entraîner par les élans d’une éloquence juvénile ; ce furent les populations des bourgades voisines qui, averties de sa présence et transportées de joie de saluer l’héritier de leurs rois, se levèrent spontanément et firent taire toutes les résistances. Le nombre de ses adhérens était pourtant encore très faible, et quand le prince se décida à arborer l’étendard royal, fait d’un morceau de taffetas qu’un homme de sa suite avait apporté, il ne se trouva pas plus de 1,200 hommes autour de lui pour saluer[1].

Avec de si faibles commencemens, il semble qu’il eût suffi d’un peu de sang-froid aux ministres anglais qui, en l’absence du roi, formaient un conseil de régence, pour mettre le pied sur l’étincelle avant que l’incendie fût allumé. Mais, ils étaient si convaincus que la petite escorte du prince était l’avant-garde d’une armée française et que Charles-Edouard n’était que l’avant-coureur du maréchal de Belle-Isle ou du maréchal de Saxe, que ce furent eux-mêmes qui grossirent le péril en l’exagérant. Leurs alarmes, trop manifestes, encouragèrent les défections en laissant voir qu’ils doutaient de la solidité de l’établissement qu’ils avaient à défendre. D’ailleurs, ils avaient à se préserver personnellement de tous les soupçons, car le public se méfiait d’eux et ils se méfiaient les uns des autres, le dernier remaniement ministériel ayant fait entrer dans le cabinet des jacobites récemment ralliés dont la fidélité était douteuse. Les mesures prises à la hâte se ressentirent de cet état d’agitation. — « La régence tout entière est revenue à Londres, écrit Horace Walpole, pour prévenir l’invasion. » — On publia sur-le-champ une proclamation qui promettait une récompense de 30,000 livres sterling à celui qui mettrait la main sur le prince. On rappela 10,000 hommes de l’armée de Flandre, qui n’en avait jamais compté plus de 20,000, et que les combats et la maladie avaient déjà fort réduite. Enfin, on supplia le roi, on lui enjoignit presque de revenir sans délai au milieu de ses sujets. Pour l’y décider, il devait suffire de lui faire

  1. Voltaire, Siècle de Louis XV, ch. XXIV. — (Correspondance relative aux relations avec les prétendans Vol. Stuarts, juillet-août 1745. — Ministère des affaires étrangères.) — Pichot, Histoire de Charles-Edouard, t. I, p. 303, 305.