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virent un matin le visage rasséréné. Le rajah avait trouvé ce qu’il cherchait : le moyen de savoir la vérité sans donner l’éveil.

« Gunong-Agong, dieu des volcans, m’est apparu, dit-il, la nuit dernière, et m’a donné l’ordre de me rendre au sommet de la montagne qu’il habite. Vous m’accompagnerez tous, le dieu ayant à me faire une communication de la plus haute importance pour vous et pour tout le peuple. »

La caravane se mit en marche. Arrivé au pied de la montagne, le rajah, nouveau Moïse sur son Sinaï, donna ordre à son escorte de camper et gagna seul le sommet. Il y resta longtemps, redescendit très grave, comme un homme qui a reçu d’importantes révélations et, sans desserrer les dents, regagna son palais.

Trois jours après, il convoqua ses chefs : — Écoutez, leur dit-il, les paroles du dieu : « De grandes calamités vous menacent. La peste et la famine vont s’abattre sur vous, mais il est un moyen, un seul, de conjurer le danger. Voici ce qu’il vous faut faire : vous fabriquerez douze kriss sacrés, un par province. Ces kriss seront d’acier ; chaque habitant de la province, homme, femme, enfant contribuera pour une aiguille en acier, pas une de plus, pas une de moins, sans quoi la province, le district et le village qui aurait commis l’erreur serait ravagé par la peste et la famine. Si l’on obéit religieusement à ces instructions, tout péril sera écarté et la prospérité règnera dans le pays. »

Princes et peuple furent enthousiasmés, heureux d’en être quittes à si bon compte, et dans chaque village on réunit scrupuleusement un nombre d’aiguilles correspondant exactement au chiffre des habitans. On les compta et recompta vingt fois plutôt qu’une, et on achemina ces paquets sous bonne garde au rajah, qui sut enfin, à n’en plus douter, et le nombre des habitans et ce que devait être le rendement de la taxe. Quand l’époque de la récolte arriva et, avec elle, le paiement au rajah, il reçut lui-même le tribut. A ceux de ses chefs qui lui remirent la quantité due, sauf un quart, il ne fit aucune observation ; à ceux qui apportèrent la moitié ou le tiers seulement, il dit doucement : « Il y a erreur ; le chiffre des aiguilles de ce district ou de cette province indique une population plus considérable. Allez et vérifiez qui n’a pas payé. » Ils le firent en tremblant et rapportèrent ce qui manquait, craignant de provoquer la colère du rajah. A partir de ce moment, le produit de la taxe doubla, le rajah s’enrichit, l’ordre régna dans l’administration, et chacun d’attribuer aux douze kriss sacrés la prospérité du royaume.

Autrefois sauvage et belliqueuse, divisée en tribus toujours en guerre, la population des Célèbes est aujourd’hui l’une des plus paisibles et des plus heureuses de l’archipel asiatique. Ce changement, qui date de 1822 et n’a fait depuis que s’accentuer, est dû à