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Versailles. Après Tournay, c’était Bruges que Lowendal enlevait de nuit par une surprise qui rappelait la prouesse de Maurice lui-même devant Prague. Après Gand, Oudenarde et Dendermonde. Puis c’était le tour d’Ostende, qui opposait un peu plus de résistance, mais dont le sort n’était plus douteux. Nieuport ne devait pas tarder à suivre, et à chaque fois c’était un combat heureux contre les débris de l’armée anglaise. — « Les Anglais ont encore en cette fois du pire, écrivait, après l’un de ces engagemens, Maurice, guéri et presque ressuscite par cette série de triomphes : ils ont perdu 15,000 hommes, qui est plus de la moitié de leurs troupes ; ils ne répareront pas aisément leurs pertes. M. le prince de Conti, qui ne besogne pas de même sur le Rhin, en est, je crois, un peu jaloux. » — Comme il était bien pour quelque chose dans l’impuissance à laquelle Conti s’était trouvé réduit, il y avait dans cette comparaison plus de malice que de générosité[1].

La perte d’Ostende et de Nieuport, déjà presque consommée, menaçait l’Angleterre de conséquences d’une extrême gravité, car ces deux villes maritimes étaient les seuls points par lesquels une escadre britannique pût se maintenir en rapport avec les troupes détachées sur les territoires des Pays-Bas, et une fois ces deux voies fermées, il ne restait plus à un Anglais quelconque, roi, ministre ou général, de relations régulières et promptes avec le continent qu’en empruntant le territoire de la Hollande. Mais la Hollande elle-même, combien de temps resterait-elle ouverte ? Si l’émoi, en effet, était grand à Londres, qu’était-ce à Amsterdam ou à La Haye, où on entendait en quelque sorte le canon français frapper aux portes ? Là, chaque courrier de Flandre était attendu avec angoisse et reçu avec effroi ; et comme dans tous les pays où l’élément populaire domine, c’étaient des alternatives d’abattement, d’effroi et d’irritation qui rendaient toute politique suivie et toute prévision du lendemain impossible : d’autant plus que, comme je l’ai déjà rappelé, au trouble apporté par les bruits du dehors, se mêlaient les orages causés par les luttes intérieures des partis. Tandis que les partisans de la maison de Nassau, maîtres de la populace des grandes cités, prêchaient toujours la résistance à outrance et demandaient, pour la mieux soutenir, la concentration de tous les pouvoirs militaires et civils entre les mains d’un prince et d’un général, les républicains, au contraire, étaient presque aussi effrayés de cette perspective que de celle de la conquête. Ils soupiraient tout bas après une paix qui les délivrerait de ces deux fantômes, et ouvraient parfois discrètement l’oreille aux exhortations de philosophie morale que d’Argenson ne cessait de leur faire parvenir, dans

  1. Maurice à sa sœur, 20 juillet 1745. (Archives de Strasbourg.)