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Dans cette pensée, il n’hésita pas à proposer à l’Angleterre, comme les seules conditions de paix qu’il pût écouter, un programme trop élevé pour qu’il espérât lui-même, au fond de l’âme, le faire admettre. Il demandait qu’on lui assurât la conservation de la Silésie, sous la triple garantie de l’Angleterre, des Provinces-Unies et de l’empire, et l’extension de cette conquête par l’annexion de trois forteresses prises en Bohême. Si cet accroissement paraissait impossible à obtenir, il se contenterait du paiement d’un millier de livres sterling pour l’indemniser de ses frais de guerre. Et, en attendant que cet ultimatum fût accepté, son premier lieutenant, le prince d’Anhalt, commandant le corps d’armée qui campait aux portes de la Saxe, restait le bras levé (comme ii dit lui-même dans son histoire) et prêt à frapper le coup décisif. — « Je croyais meilleur, répondit humblement Podewils en recevant ces instructions, de ne rien livrer au hasard. C’est mon système : Votre Majesté trouve le sien préférable, cela suffit : vogue la galère[1] ! »

Je n’oserais pourtant répondre de l’accueil qu’auraient reçu à Hanovre ces propositions à la fois hautaines et comminatoires, si elles ne s’étaient trouvées appuyées par un concours de circonstances qui donnèrent à réfléchir au roi d’Angleterre et le contraignirent enfin, bon gré malgré, de faire trêve à ses ressentimens de famille et à ses sympathies germaniques. George, d’ailleurs, était loin d’être, on le sait, comme Frédéric et Louis XV, un souverain à peu près absolu, maître de diriger comme il l’entendait la politique de son royaume. Il avait à compter avec des ministres dont le choix lui était souvent imposé par les majorités parlementaires, et qui restaient exposés eux-mêmes aux critiques d’une opposition hostile et d’une presse ardente et libre. Un coup d’œil rapidement jeté sur l’état de l’opinion en Angleterre, et sur l’impression que produisaient à l’intérieur les événemens du dehors, ne sera donc pas inutile pour bien apprécier les causes diverses qui aidèrent à ce moment Frédéric à triompher des répugnances de son oncle.


I

La première de ces causes et la principale, ce fut l’effet produit par la continuité des succès du maréchal de Saxe en Flandre, dont le retentissement, presque nul en Allemagne, comme on vient de le voir, était au contraire très grand à Londres et commençait à y causer une émotion avec laquelle il fallait bien que le roi lui-même se décidât à compter. La conquête des Pays-Bas par la France

  1. Frédéric à Podewils, 20, 28 et 31 juillet, 2, 4 août ; — à Andrié. 5 août 1745 (Pol. Corr., t. IV, p. 283, 240, 214, 247, 249, 251 — Droysen, t. II, p. 524, 532.)