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leur place dans les affaires du monde, dans les conseils ou dans les mêlées de la vie publique, et qui sont faits pour laisser un vide en disparaissant. La mort vient d’enlever coup sur coup, à quelques jours d’intervalle, en Italie et en Russie, deux hommes qui ne se ressemblaient guère, qui n’avaient ni le même caractère, ni le même esprit, ni la même position, et qui ont été des figures originales de leur pays : l’un, vieux parlementaire, chef de cabinet presque invariable depuis dix ans, M. Depretis ; — l’autre, M. Katkof, simple publiciste, tribun retentissant de la presse, puissant par le talent, par l’influence et par la liberté qu’il savait prendre dans un état où il n’y a de libre que le souverain.

C’est dans sa petite ville natale de Stradella, d’où il était parti autrefois obscurément, qu’il n’a cessé de représenter au parlement piémontais, puis au parlement italien, c’est là que M. Depretis est revenu s’éteindre il y a quelques jours. Quand il s’éloignait récemment de Rome après la session, il sentait déjà ses forces décliner, il partait avec le pressentiment vague de sa Un prochaine. Il est mort à soixante-seize ans, ministre jusqu’au bout, en pleine possession du pouvoir auquel il était visiblement attaché, de la faveur du prince qui aimait son bon sens et de la confiance des chambres qui subissaient son ascendant. M. Depretis n’était pas de ceux qui enlèvent du premier coup l’autorité et le succès ; il avait longtemps lutté avant de conquérir la haute position dans laquelle la mort vient de le frapper. Il avait commencé par l’opposition la plus avancée, par l’extrême gauche, dans les chambres de Turin, au début du régime constitutionnel. Ce n’est qu’en pleine formation du nouveau royaume d’Italie qu’il commençait à se dégager, à entrer dans la politique officielle, en acceptant du roi Victor-Emmanuel et de M. de Cavour une mission auprès de Garibaldi après la conquête de la Sicile. Il se rapprochait du gouvernement, et il était bientôt pour un instant ministre, même un ministre de la marine assez malheureux en 1866, à l’époque du désastre naval de Lissa ; mais ce n’est réellement qu’après 1870, à mesure que la scène italienne se dépeuplait de ses premiers acteurs, que M. Depretis prenait plus nettement son rang dans les affaires, et cette fois, au lendemain d’élections favorables à l’opposition, il entrait au pouvoir comme premier ministre, comme chef d’un cabinet de la gauche. Il entrait au gouvernement en 1876, sous le roi Victor-Emmanuel ; il y est resté dix ans presque sans interruption sous le roi Humbert, déployant un an singulier sous une apparence de bonhomie, habile à manier les partis, mêlant la ruse et la souplesse à la ténacité. Engagé depuis longtemps dans les affaires et guéri de beaucoup d’illusions, patriote sans ostentation, libéral sans fanatisme et sans chimère, M. Depretis a gouverné dix ans en homme d’expérience et de raison pratique, ne se livrant à aucun parti, pas même au sien, partageant