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universelle de leur condition depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Comme toute histoire universelle, à vrai dire, celle-ci est incomplète : pas plus que Bossuet, M. Maugras ne s’occupe de l’Inde ni de la Chine. Il se contente d’affirmer, en commençant, qu’à toutes les époques et dans tous les pays, « en Orient comme en Occident, partout le théâtre est né de la religion, » et il se restreint tout de suite à la civilisation classique. Aussi bien je doute qu’il ait le sens de l’antiquité, ou le sens religieux, ou proprement historique. Son âme parait moins apte aux incarnations que celle de M. Leconte de Lisle. Volontiers il parle des « dieux égrillards » du paganisme, en homme qui les a hantés au XVIIIe siècle, chez les faiseurs de poésies badines, plutôt qu’au temps de leur majesté vivante, aux fêtes d’Adonis ou de Déméter. Il écrit sérieusement : « Depuis l’établissement de l’Empire, la vie romaine était devenue une orgie continuelle, » — ce qui doit scandaliser M. Victor Duruy, faire rire M. Gaston Boissier, et satisfaire Bouvard et Pécuchet. — Auguste a soustrait les acteurs au châtiment du fouet : c’est qu’ils « servaient ses vues politiques » en divertissant le peuple des libertés perdues. M. Maugras n’imagine pas d’autres raisons : ni que les mœurs, peu à peu, se fussent adoucies, ni que le terrain social, après les secousses des guerres civiles, fût devenu plus meuble. Et.de même, si quelques réjouissances populaires se ressemblent dans les siècles anciens et au moyen âge, ce n’est pas par l’effet d’une hérédité naïve : c’est que l’Église, en habile personne, résolut, à un certain moment, de tourner à son avantage ces traditions païennes : « Quand elle les vit profondément enracinées dans l’esprit du peuple, au lieu de poursuivre une lutte stérile, elle les adopta et les transforma en légendes chrétiennes. »

M. Maugras, d’ailleurs, prend la peine de nous apprendre, par des notes spéciales, que Tertullien est un « célèbre Père de l’Église latine, » et que les deux fils de Théodose, « Arcadius et Honorius, se partagèrent l’Empire. » Mais il parle des « lois romaines, » qui « sont fort nombreuses, » un peu comme d’un code existant tout d’une pièce et dans un temps indéterminé ; il cite, sans bien marquer les distances, Tibère et Théodoric. Il cite aussi Gaboriau, pour un volume intitulé : les Comédiennes adorées, — ce qui prouverait, à la rigueur, l’étendue de son érudition, plutôt que l’exigence de sa critique. Il dit, comme il le croit, mais il le croit trop facilement, qu’on ne vit chez les Romains « ni véritable théâtre ni littérature dramatique… » Eh bien ! mais Nœvius ? Attius ? Mais Plaute ? Mais Térence ? .. Il conclut, nécessairement, de ces prémisses : « A part quelques exceptions, il n’y avait pas à Rome de comédiens dignes de ce nom : ils n’y avaient pas d’emploi. « Il pourrait ajouter, sans doute, que nous ne nous souvenons guère que d’Esopus et de Roscius ; mais pourrait-il garantir que, dans dix-huit cents ans, on se rappellera, pour le XVIIIe siècle, d’autres noms d’acteurs