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jamais existé. Ils ont à ce point modifié, révisé, amendé certains actes du parlement qu’il ne reste plus un mot du texte original. En matière d’administration, ils opèrent de même, superposant des conceptions modernes à des traditions féodales religieusement conservées. Comme certains fermiers, ils réparent, tant qu’un morceau du harnais, un essieu de la charrette, une jante des roues subsiste et tient bon ; ils ont le culte de leur vieux matériel, en cela bien différens de nous, toujours prêts à changer d’attelage, de voiture et de conducteur au moindre accident, quitte à le regretter le lendemain.

En revanche, quand ils sont las de rapiécer, quand leur patience est à bout, quand il leur est bien démontré que l’attelage est fourbu, le conducteur incapable et le véhicule hors d’usage, ils n’hésitent plus à tout planter là, et ces conservateurs à outrance étonnent le monde par leurs conversions subites et leurs réformes radicales. Au pouvoir absolu, ils substituent sans transition le gouvernement parlementaire ; lassés du joug de Rome, ils décrètent que leur roi est pape ; fatigués d’une féodalité turbulente, ils l’encadrent dans une chambre haute, bien disciplinée, dont ils font le rouage le plus souple et le plus flexible de leur machine gouvernementale.

Quand, plus tard, les treize colonies révoltées de l’Amérique réclament leur émancipation, ils la refusent, luttent avec énergie pour les réduire à l’obéissance ; puis, convaincus par leurs échecs qu’ils font fausse route, et que les colons insurgés doivent avoir pour eux le droit puisqu’ils ont la force, ils s’empressent de reconnaître leur indépendance et de signer la paix. Sectateurs fervens de l’expediency, ils font fléchir la rigueur des principes devant la force des choses, et justifient par la toute-puissance de l’opinion publique les volte-face les plus inattendues. Ils l’ont bien montré en accordant, en 1867, au Canada l’acte constitutif qui le régit aujourd’hui et n’a plus laissé subsister qu’un lien nominal entre l’Angleterre et sa colonie. Le droit accordé au parlement canadien d’administrer les revenus publics, de voter et de percevoir les droits de douane, d’assurer le service de la dette publique, a inauguré l’indépendance commerciale et cimenté l’union des provinces par la communauté des intérêts. Bien que le titre officiel du ministère soit encore celui de conseil privé de la reine, ses membres ne sont responsables que vis-à-vis du parlement canadien. Ils sont pris dans les rangs de la majorité, gouvernent avec elle et se retirent devant son vote hostile. En théorie, ils sont nommés par le gouverneur-général ; dans la pratique, le rôle de ce dernier se borne à confier au chef de la majorité la mission de constituer un ministère et de choisir lui-même ses collègues.

Les prétentions officielles des colons australiens ne vont pas