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cimes. La côte sud fait face à la péninsule de York, pointe extrême de l’Australie, et, en cette partie, le détroit peut être franchi en quelques heures de navigation. Un voisinage aussi rapproché rendait dangereuse pour la colonie l’occupation par une puissance étrangère de la Nouvelle-Guinée ; aussi les Anglais crurent-ils devoir annexer la rive sud par mesure de précaution. Mais l’étendue de la Nouvelle-Guinée, la nature du sol et du climat ne leur ont pas permis de pousser bien avant leurs exploitations. La Nouvelle-Guinée est encore une contrée mystérieuse dont les côtes seules sont connues. C’est à peine si l’on s’est avancé à quelques journées de marche dans l’intérieur. On y a constaté l’existence de hautes montagnes, entre autres du mont Yule, qui s’élève à 10,000 pieds de hauteur, de nombreux cours d’eau, de hauts plateaux couverts de pâturages abondons. Seul, un Italien, M. d’Albertis, s’est aventuré assez loin. Homme intrépide et résolu, il a vingt fois risqué sa vie dans cette expédition de huit mois. Partout il dit avoir rencontré des vallées fertiles habitées par une population nombreuse. Il se loue fort des Papouens, qu’il représente comme comparativement plus civilisés que la plupart de leurs congénères de l’Océan-Pacifique, industrieux, habiles cultivateurs et vivant dans un bien-être relatif. Il n’en eut pas moins maille à partir avec eux et, pendant plusieurs semaines, ne dut qu’à la crainte superstitieuse qu’il leur inspirait de n’être pas massacré par eux. Plus heureux que le révérend William Baker aux îles Fijis, il échappa au sort qui le menaçait et que ce dernier provoqua en déclarant dans un sermon au chef et à la population qu’aucun mal ne pouvait l’atteindre, son Dieu le protégeant. Le chef se le tint pour dit, et le lendemain, en manière de plaisanterie et uniquement pour vérifier un fait qui l’intriguait, lui asséna un coup de son casse-tête qui, à son grand étonnement et a son regret sincère, brisa le crâne du révérend.

Les naturels de la Nouvelle-Guinée n’ont pas d’ailleurs les instincts sanguinaires des indigènes des Fijis et des Nouvelles-Hébrides. Sur les côtes, la civilisation les a effleurés, rien de plus. Boé, roi de Moresby, lui est redevable d’une vieille jaquette d’alpaga noir qu’il s’empresse d’endosser, sans rien autre, quand un navire fait son apparition dans le port. Ila, chef du district voisin, rival du roi, a possédé, dit une légende locale, une chemise dans le temps de sa jeunesse ; il s’en vante encore, mais la jaquette de Boé a beaucoup diminué le prestige d’Ila, nonobstant sa chemise absente et le collier d’huîtres perlières et de plumes d’oiseaux de paradis dont il se pare dans les grandes occasions.

L’oiseau de paradis est la parure la plus appréciée et la plus recherchée des Papouens. Ils s’en servent pour acheter leurs femmes,