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qu’elle exalte les plus nobles-facultés de l’homme, elle déchaîne en lui la bête et le ramène parfois à L’animalité primitive. Elle serait trop belle, autrement !

Quoi qu’il en soit et pour conclure sur la discipline, si l’on prend isolément l’armée royale dans les mauvaises années du XVIIIe siècle, on est frappé de sa démoralisation. Si l’on regarde aux autres armées, et dans les documens allemands, on demeure frappé de la ressemblance des situations. Ce qu’on ne voit pas, en revanche, chez le voisin, c’est une armée tombée, si bas, après une si extraordinaire accumulation de revers, se relever si vite et reprendre avec tant de vigueur, en si peu d’années, son ancienne vertu. Entre la fin de la guerre de sept ans et le commencement de la guerre d’Amérique, il n’y a que quinze ans ; entre les troupes de l’une et celles de l’autre, il y a tout un monde. Comment s’est opérée cette transformation ? Est-ce par la violence et la compression à outrance, par l’application maladroite et systématique de la discipline et des procédés prussiens ? Nullement ; jamais, à aucune époque, la loi militaire n’a parlé un langage plus humain et plus élevé qu’en ces dernières années de l’ancien régime. Depuis longtemps déjà, la sensibilité du siècle avait pénétré l’armée et tempérait la rigueur des ordonnances par l’excessive indulgence des autorités chargées de les appliquer. En 1788, des mœurs cette sensibilité passe dans le code lui-même et le transforme. Ce n’est pas à la force, en dépit de quelques, apparences contraires, que la royauté demande le rétablissement de l’ordre ; tout en maintenant énergiquement le principe tutélaire de l’obéissance passive, elle fait appel à la raison, à l’honneur du soldat, elle rend hommage à sa dignité d’homme et de citoyen, et le relève dans sa propre estime en imposant le respect de sa personne à ses chefs.

Dans les armes spéciales, Le génie n’avait jamais perdu la place éminente qu’il tenait depuis Vauban, et la création de l’école spéciale de Mézières avait achevé de le mettre tout à fait hors de pair en Europe. En revanche, l’artillerie s’était laissé dépasser par la plupart des puissances, et les dernières guerres n’avaient que trop montré son infériorité. Gribeauval parait : aussitôt tout change, et par un prodige d’activité dont on ne retrouve pas l’analogue dans notre histoire, voici l’armée qui, en quelques années, retrouve son ancienne supériorité. D’un bond, elle rattrape et même elle laisse bien loin derrière soi les artilleries rivales.

Pareillement la tactique : jusqu’à la guerre de sept ans, elle était demeurée fort arriérée, la vieille et classique théorie de l’ordre profond, reprise et rajeunie par d’ardentes controverses, tyrannisant encore la plupart des officiers-généraux, les empêchait de voir que