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masse suivant les cas, laissant aux généraux sous leur responsabilité la faculté de recourir à ce genre de formation, soit pour enfoncer un point de la ligne ennemie, soit pour enlever un obstacle ou traverser un défilé. Mais en même temps l’ordre déployé, le seul qui puisse donner au feu toute sa puissance, s’exécutant au moyen d’une marche oblique et permettant à la ligne de bataille de s’étendre et de se déplacer, d’après les circonstances et le terrain, avec une grande promptitude, devenait l’ordre habituel et régulier.

Guibert l’emportait : c’était son système, beaucoup moins radical en somme qu’on l’avait cru, qui avait le dessus. C’était par une sage transaction que se terminait la querelle qui divisait depuis si longtemps les meilleurs esprits dans le militaire : heureux dénoûment qui, sans contrarier le caractère et les instincts nationaux, faisait toutefois une large et juste part à la nouvelle tactique. On avait pu craindre un moment, sous l’empire des exagérations que provoquent toujours l’esprit de système et le goût déréglé des nouveautés, que l’armée ne perdit la tradition française par excellence de l’offensive et de l’attaque à l’arme blanche. C’était l’écueil dont se préoccupaient avec raison les de Broglie. Les rédacteurs de l’ordonnance de 1776 étaient trop avisés pour ne pas respecter cette tradition dans ce qu’elle avait encore de compatible avec les progrès de la balistique. Mais on peut dire d’eux, — et c’est encore à Guibert que va l’éloge, — qu’ils rendirent à l’armée un signalé service en lui donnant une ordonnance qui lui permit d’affronter à chances égales les troupes les plus manœuvrières.

En 1791, dans le travail de révision auquel la Constituante soumit l’armée, il n’y eut qu’un très petit nombre de points où son ardeur révolutionnaire ne trouva pas l’occasion de s’exercer : l’ordonnance de 1776 fut l’un de ces points ; elle échappa, par bonheur, au vandalisme légal qui avait déjà fait tant de ruines ; et ce fut de ses principes que s’inspirèrent les auteurs du nouveau règlement sur le service en campagne. Quel plus bel éloge à l’adresse des Saint-Germain, des de Muy, des Guibert et de toute cette pléiade d’hommes éminens que l’ancien régime sut trouver pour illustrer ses derniers jours et réaliser en quelques années dans ses institutions militaires plus de progrès qu’on n’en avait fait depuis un siècle ?

L’opposition pourtant n’avait point désarmé, et, pour la vaincre, il fallut encore un dernier effort. Encouragée par la mort de Saint-Germain et par la nomination au secrétariat de la guerre d’un officier-général de la vieille roche, le prince de Montbarey, très brave, très brillant de sa personne, mais absolument réfractaire à toute idée de réforme, les de Broglie s’étaient remis en