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les officiers envers les bas officiers et soldats sera de même strictement observé par les bas officiers envers ces derniers.

Sans doute, il y a autre chose que ces belles prescriptions dans le règlement du 1er juillet, et tous les articles n’en sont pas frappés au même coin. Il en est un surtout contre lequel s’est déchaînée la colère des contemporains avec une telle violence, qu’il fut, on peut le dire, une des causes secondes de la révolution. Je veux parler de la fameuse punition des coups de plat de sabre, empruntée par Saint-Germain au code prussien, et contre laquelle une grande partie de l’armée, même parmi les officiers, avait toujours protesté. Comment le conseil de la guerre, car c’est encore de lui qu’émane ce règlement, comment des hommes comme Gribeauval et Guibert furent-ils amenés à maintenir cette pratique étrangère et souverainement antipathique au caractère français ? Comment ces grands esprits purent-ils croire qu’en réglant le mode d’application des coups de plat de sabre, ils en rendraient l’usage plus tolérable ? Sur les fesses[1] ou sur le dos, tendre l’un ou l’autre, la partie postérieure ou la supérieure, que pouvait bien importer au soldat ? « Je n’aime du sabre que le tranchant, » avait dit l’un d’eux, et toute l’armée de répéter le mot. Il eût fallu l’entendre, il eût fallu surtout comprendre qu’on ne discute pas avec les répulsions et les préjugés nationaux, qu’on les subit. Le conseil de la guerre ne vit pas cela ; il fut de l’avis de ce major du régiment de Nassau à qui Choiseul, un jour, demandait son avis sur les coups de bâton, et qui lui répondit : « Monsieur le duc, j’en ai beaucoup reçu, j’en ai beaucoup donné et je ne m’en suis jamais que bien trouvé… » Ils avaient fait merveille, en effet, dans l’armée prussienne, et ce que les vainqueurs de Rosbach avaient trouvé bon, on avait peut-être le droit de supposer que les vaincus ne le trouveraient pas si mauvais. C’est l’excuse du conseil de la guerre : il crut, dans sa naïveté, que l’honneur allemand n’était pas fait d’un plus vil métal que l’honneur français, qu’une nation qui avait si longtemps subi la torture et tant d’autres choses accepterait la bastonnade. Comme il connaissait mal ce peuple si mobile et si divers en ses impressions, capable, suivant les circonstances, de plus de résignation et de plus de révolte que les autres peuples ; tantôt insensible aux plus lourds fardeaux, tantôt rebelle à la moindre charge, subissant aujourd’hui la pire tyrannie, ingouvernable demain ; le plus aimable et le plus charmant, mais en même temps le plus insaisissable et le

  1. Article 55 : « Los coups de plat de sabre ne seront jamais donnés autrement que sur les fesses, l’homme condamné à les recevoir étant à cet effet couché sur le ventre, et allongé sur une botte de paille et sur le lit de camp. »