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Comment la discipline résisterait-elle à tant d’assauts ? La défaite, même accidentelle, est toujours une mauvaise conseillère ; à plus forte raison la défaite ininterrompue, constante, prévue d’avance. À ce mal-là, dans les armées, il n’y a guère de remèdes. La plus extrême sévérité n’y suffit même plus. Au début de la guerre de sept ans, le maréchal d’Estrées, un honnête et vaillant soldat celui-là, que la conduite des troupes indignait, avait fait pendre au-delà de mille maraudeurs[1]. L’an d’après, Saint-Germain écrivait à Pâris-Duverney : « Le pays, à trente lieues à la ronde, est saccagé et ruiné comme si le feu y avait passé ; à peine nos traîneurs et nos maraudeurs y ont-ils laissé exister les maisons… Il n’y a plus moyen de servir avec de pareilles troupes… Je ne regarde nos campagnes et celles des Autrichiens que comme des incursions de Tartares[2]. » Et de tous ainsi : pendant ces tristes années, la correspondance des armées n’est qu’une longue doléance sur le mauvais esprit et les excès de la troupe, et sur les ravages qu’y fait la désertion. N’exagérons rien pourtant : dans ce concert de plaintes et de récriminations il y a sans doute une part de vérité ; mais il faudrait se garder de juger la discipline française dans les armées de l’ancien régime sur le tableau qu’en ont tracé tous ces généraux vaincus et dégoûtés. Il en est ici comme du commandement et de la scandaleuse intervention des favorites : ce qui s’applique à cette lamentable époque ne convient nullement aux autres. Jusqu’à la guerre de sept ans, partout où la troupe avait été bien conduite et nourrie, elle n’avait commis aucun des graves excès par où elle se signala plus tard, à l’exemple des Pandours et des Russes. Après, sous l’action bienfaisante d’une administration plus honnête et grâce aux efforts réparateurs des Choiseul et des Saint-Germain, la discipline se rétablit très vite. De l’extrême relâchement, on passa même à l’extrême sévérité : on fatigua le soldat par des règlemens trop minutieux, on alla chercher dans le code militaire prussien des exemples et (les modèles, on le transposa trop servilement peut-être et sans tenir suffisamment compte de la différence des caractères et des esprits. On eut le tort de heurter l’opinion publique par des innovations qu’elle accueillit avec défiance et qui devinrent entre les mains des déclamateurs une arme redoutable. L’effet de ces

  1. Retzow, Guerre de sept ans.
  2. Roussel, Comte de Gisors, p. 367.