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libre de ses mouvemens, à mettre les subsistances entre les mains d’un directoire de guerre, divisé en plusieurs commissariats qui avaient chacun leur partie : celui-ci la boulangerie, un autre la viande, un troisième l’habillement. Quand ces troupes étaient en quartier, elles vivaient sur le pays : la guerre nourrissait la guerre. Les états de consommation visés par les généraux commandant les arrondissemens et par le commissariat étaient ensuite envoyés au grand directoire établi à Torgau ou à Leipzig pour être déduit des impositions. Point d’employés, point de frais de magasins, point de déchets, point de non-valeurs. C’est ce système ou un système analogue que Guibert et quelques autres bons esprits, frappés comme lui de la complication de notre administration militaire, eussent voulu voir institué, et c’est en s’emparant de leur idée que Choiseul avait d’abord substitué la régie, c’est-à-dire l’administration par le gouvernement lui-même, à l’entreprise. Mais ce système, si supérieur qu’il fût à l’autre, n’en différait point encore assez. Pour faire ses régies, Choiseul avait dû recourir au personnel des anciennes compagnies, et la nouvelle administration, dans ces mains habituées au gaspillage, ne réalisa pas toutes les économies qu’on en attendait[1]. Pour que la réforme portât tous ses fruits, il l’eût fallu plus radicale. Il y fallait surtout un homme ayant tous les courages, mettant le bien public au-dessus de toutes les autres considérations, et prêt à lui sacrifier jusqu’à sa réputation d’honnête homme : j’ai nommé Saint-Germain. L’armée lui doit la première application de cette idée si simple : l’administration des corps par les corps eux-mêmes, et la suppression de tous les intermédiaires qui s’interposaient jadis entre le soldat et son tuteur naturel, au grand détriment de son bien-être et du trésor. Désormais, au lieu des diverses masses affectées, les unes à l’habillement, à l’entretien et aux réparations, les autres à l’équipement ou aux remontes, chaque régiment aura sa masse générale gérée par un conseil d’administration ainsi composé : le colonel, le colonel en second, le lieutenant-colonel, le major et le plus ancien capitaine.

Ce conseil s’assemblera chaque semaine, et ses délibérations seront consignées sur un registre. Il veillera au bon ordre et à l’économie des deniers communs. Il dressera l’état des fournitures nécessaires au corps, examinera ses marchés, et fera faire les achats par des officiers délégués à cet effet. Il pourvoira lui-même à l’habillement et à l’équipement de la troupe.

Saint-Germain eût été -jusqu’à lui donner l’administration des

  1. Elle avait cependant donné de bons résultats lors de l’expédition de Corse, où elle avait été pour la première fois expérimentée. (Guibert, Essai général, II, 308.)