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poussée à tel point, que l’on se faisait parfois scrupule de les représenter sur des matières trop peu durables. Tandis que l’usage des vitraux peints a doté notre moyen âge d’un art admirable, un manuel iconographique du XVIIe siècle, ignorant des verres à fond d’or de l’antiquité chrétienne, interdit aux Russes de peindre les saintes images sur verre, parce que le verre est une matière trop fragile.

Pour être demeuré sous la surveillance du clergé, l’art religieux de la Russie n’est pas resté confiné dans l’église. Le Russe de toutes classes se faisait un devoir de placer des icônes dans chaque chambre ; les familles aisées de marchands moscovites aimaient à posséder un oratoire dans leurs maisons. Les saintes images, en se multipliant à l’infini, se sont appropriées au culte domestique. De monumentale, la peinture russe s’est peu à peu réduite à la miniature. Rares, dans ce pays aux constructions de bois, étaient les murailles où le vieil art byzantin pût déployer ses colossales figures, tandis que chaque ménage tenait à posséder ses icônes de bois ou de métal, ses « tableaux ouvrans, » ou ses piadnitsy, ainsi nommées du mot piad, paume de la main, parce qu’elles n’étaient pas plus grandes que la main. Les Grecs avaient déjà introduit avec eux les images portatives. La patience russe s’appliqua à les perfectionner, à en accroître la finesse, resserrant les sujets, rapetissant les personnages, si bien que les figures finirent par devenir microscopiques. Il y a de ces peintures anciennes qu’il faut regarder à la loupe. L’artiste moscovite fait tenir tout un jugement dernier dans un panneau de quelques pouces. Les diptyques ou triptyques de métal ou de bois sculpté rivalisent de finesse avec les peintures. Ainsi, par exemple, les crucifix de cuivre où toute la vie du Sauveur se déroule autour du Christ en croix. Nombre de ces « tableaux ouvrans » ou de ces diptyques reproduisent en raccourci tous les saints et les sujets d’ordinaire placés sur l’iconostase. Aussi le peuple appelle-t-il ces délicates images des églises. Les vieux-croyans, les sectaires en lutte avec la hiérarchie officielle montraient une préférence pour ces minuscules icônes ; elles avaient, pour eux, l’avantage d’être faciles à emporter en temps de persécution. On rencontre de ces iconostases peints sur des tissus. Aux XVIe et XVIIe siècles, le goût de cette sorte de miniature dominait tellement dans les ateliers des villes ou des couvens que ces images à dessin microscopique, destinées d’abord au culte privé, s’introduisirent jusque dans les grandes églises. Les imagiers russes, peintres ou ciseleurs, ont témoigné dans ce genre d’une singulière habileté de main. Ce n’est point, du reste, leur seule qualité ; ces figures byzantino-russes, en dépit de leur gaucherie ou de leur manque de naturel, ont d’ordinaire une simplicité sérieuse et une noblesse d’expression qui, par les âmes pieuses, les font souvent préférer aux